« J’espérais moi aussi avoir ma photo avec lui »

Écrit par Bruno Lus

Carlo Rainone n’était pas né quand Maradona est arrivé à Naples, en 1984. Il n’a que 2 ans au départ de l’attaquant en 1991, mais le photographe napolitain, spécialiste du football, a été bercé par les anecdotes sur le joueur. « Mon père et mon oncle m’ont raconté le mythe de cet Argentin venu à Naples pour transformer un petit club de série A en grand club. Un conte de fées ! » En 2017, alors qu’il travaille sur les supporters du SSC Naples, un vieux tifoso – supporter en italien – lui montre une photo de son ex-compagne avec Maradona. C’est le début de sa collection de clichés de Napolitains avec leur dieu du foot. Carlo Rainone se met à interpeller les gens à la pizzeria, au supermarché, à l’église : « Auriez-vous une photo avec Maradona ? » Il va jusqu’à coller des affiches dans la rue. Puis il utilise les réseaux sociaux. « Chaque fois, il y a une histoire derrière. » Considérées comme des reliques, ces images ont été religieusement conservées par les Napolitains. Le photographe les numérise patiemment. Elles retracent le mythe Maradona.

Le 5 juillet 1984, le milieu offensif argentin foule pour la première fois la pelouse du stade San Paolo de Naples, après deux saisons en Catalogne au sein du Barça. Quelques jongles, et il tire le ballon dans les gradins. Les supporters napolitains l’acclament. « Pelusa » – la « peluche », pour sa tignasse brune – est adopté.

« La ville souffrait du chômage, un séisme dans la région avait causé la mort de 3 000 personnes en 1980… Maradona est arrivé comme le Messie. Il a redonné espoir aux habitants », résume Carlo Rainone. La première saison de Maradona au SSC Naples est décevante, mais à partir de 1987 le club enchaîne les victoires jusqu’à la coupe de l’UEFA en 1989. Les commerçants invitent Maradona dans leur boutique, les gens l’arrêtent dans la rue, au restaurant. À chaque fois, ils demandent à être immortalisés à ses côtés. « D10S » (contraction de díos, dieu en espagnol, et de son numéro de maillot, le 10) a sa photo aux côtés de Jésus dans les foyers. « Il ne pouvait plus mettre un pied dehors sans déclencher une émeute », raconte Carlo Rainone.

Dieu et ses démons

Mais Dieu a aussi ses démons : la cocaïne et le sexe. Sa première addiction remonte aux boîtes de nuit barcelonaises. La seconde ternit sa réputation : en 1986, il a un fils illégitime, avec une Napolitaine, qu’il finira par reconnaître trente ans plus tard. Au fil des années, son hygiène de vie se dégrade, il boit et sniffe de plus en plus. Il serait couvert par la Camorra, la mafia napolitaine qui lui offre des montres et des voitures de luxe pour saluer ses performances, et lui fournit même sa cocaïne. En juillet 1990, c’est le début de la fin : l’Italie est sortie en demi-finale de la Coupe du monde par l’Argentine. Contrôlé positif à la cocaïne en 1991, Maradona est suspendu pour quinze mois. À quoi s’ajoutent quatorze mois de prison avec sursis pour possession de drogue, des problèmes avec le fisc… Le champion finit par fuir la ville. Il raccroche les crampons en 1997 – sans décrocher de la drogue.

Mais à Naples, la légende reste. Entre 1984 et 1991, 527 Diego y sont nés. Maradona est distingué « citoyen d’honneur » de la ville en 2017. De ses cinq années passées à récolter plus de 400 clichés amateurs, Carlo Rainone retient la longue quête de leurs auteurs : « Derrière chaque photo, il y avait quelqu’un qui avait fermement décidé de rencontrer Maradona et de se faire photographier à ses côtés… Ces images ne relèvent pas de la chance, elles ont bien été planifiées ! Je doute que nos selfies avec les stars du foot d’aujourd’hui charrient autant d’histoires. » Toute une mémoire collective préservée.

En 2022, le photographe confiait : « Mon rêve était d’en faire un livre et de le lui envoyer, en espérant le rencontrer et avoir moi aussi ma photo avec lui. » Mais le cœur de la star s’arrête le 25 novembre 2020. Dieu avait 60 ans. Les rues de Naples, officiellement confinée alors que le Covid-19 sévit depuis le début de l’année, grouillent de monde pour lui rendre hommage. « Il n’y a qu’un Maradona ! » Quelques jours après, le stade San Paolo est rebaptisé Diego-Armando-Maradona. « À sa mort, j’ai appelé mon père et mon oncle pour leur présenter mes condoléances, se souvient Carlo Rainone. Comme si c’était quelqu’un de notre famille. » Une immense fresque à l’effigie du joueur orne désormais un mur du quartier espagnol de la ville. Sculptures, statues, autels… il est partout. « Sa mort l’a rendu éternel. C’est un dieu. Ce projet aurait pu continuer, mais il fallait que je débranche et que je passe à autre chose », conclut le photographe italien. En 2023, il a publié en Italie le livre dont il rêvait, et qui sera disponible en français à l’automne prochain.

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