Tout a commencé avec un SMS, reçu fin octobre 2022, de la part d’une amie journaliste à l’Agence France-Presse (AFP) : « Grosse affaire sur un château en Bourgogne racheté par un Ukrainien qui s’est fait passer pour mort dans son pays. » Il ne fallait pas m’en dire plus : à vue de nez, ça sentait la bonne histoire. Deux semaines plus tard, je suis assise aux premières loges de la juridiction interrégionale spécialisée (JIRS) de Nancy, où vont avoir lieu les débats, dans ce dossier aux multiples tiroirs entre la France et l’Ukraine digne d’une série Netflix, dont je couvre le procès pour Le Parisien.
C’est dans une salle en sous-sol, sans fenêtre et sans âme, propre aux cités judiciaires construites à la fin des années 1970 où, malgré des rénovations, une partie des fondations s’affaissent et les infiltrations d’eau sont légions, que débarquent le premier jour les protagonistes de cette saga avec leur ballet d’avocats. Chaque jour, je m’amuse à compter combien de milliers d’euros de vêtements griffés et de sacs de luxe Dmitri Malinovsky et les deux ex-femmes de sa vie portent sur le dos. Ils ont très probablement été payés avec l’argent de l’escroquerie réalisée au détriment de Dreymoor Fertilizers. Et doivent ainsi faire partie des produits du blanchiment, que l’accusation va tenter de prouver.
J’ai eu le sentiment qu’Alexandru Arman était méprisé par les autres prévenus. Un monde les sépare.
Comme toujours, dès le premier jour, je me rapproche des avocats, la meilleure porte d’entrée vers leurs clients. Ici, à la différence des procès que j’ai l’habitude de couvrir, sur les bancs de la défense, on ne se mélange pas. Chacun reste dans son coin, plaidant pour la paroisse de son client : des prévenus aux intérêts divergents mais qui semblent tous être tenus par la même chose, l’argent. Et par un homme : Dmitri Malinovsky, le maître du jeu qui les a entraînés dans ce bourbier.
La tension est palpable lorsque les uns passent à la barre sous le feu des questions de la présidente qui tente de démêler le vrai du faux dans leurs déclarations. Combien de fois, avant de répondre, Alla Malinovska a-t-elle regardé vers son ancien compagnon ? Et Olga Kalina, la maîtresse, jusqu’où fait-elle de la rétention d’informations ?
Assez rapidement, j’ai eu le sentiment qu’Alexandru Arman était méprisé par les autres prévenus, ne venant pas du même pays ni du même milieu social qu’eux. Un monde les sépare. S’il avait cru prendre du galon, mettre sa famille à l’abri, il se retrouvait aujourd’hui dindon de cette énorme farce. Pouvait-on lui reprocher sa naïveté ou le fait d’avoir été manipulé par son impressionnant patron à qui personne n’avait su dire non ? À mes yeux, il était finalement le moins malhonnête d’entre eux. Et ce gars gentil, un peu gauche, avec son français aux accents slaves qui déclare son amour à sa femme dans des vidéos super kitsch partagées sur sa chaîne YouTube, j’ai fini par le trouver sympathique et touchant. C’est à partir de ce moment-là que j’ai eu envie de raconter cette folle histoire, pour la revue XXI, du point de vue du Moldave.