Des cachalots par dizaines qui se caressent, se frottent, s’enroulent les uns contre les autres à quelques mètres sous la surface. Un ballet de géants, tout en délicatesse, où s’engage tout le corps, pendant de longues minutes. Dans le monde des cachalots, ces câlins sont quotidiens et semblent aussi nécessaires que la satisfaction des besoins élémentaires de la vie.
Cette communication tactile s’accompagne d’expressions sonores très particulières. Les cameramen sous-marins de l’équipe de l’association Longitude 181 ont filmé toutes les plongées de l’océanologue François Sarano parmi les cachalots à l’île Maurice depuis dix ans. Ces archives uniques, de plusieurs milliers d’heures, ont permis à l’équipe pluridisciplinaire de décrypter les scènes auxquelles ils assistaient, grâce aux outils d’analyse qu’ils créaient petit à petit.
Extraordinaire intimité
Dans l’habitacle du catamaran, alors que nous attendons les cachalots (lire notre article « Du danger d’être cachalot à Toulon »), François Sarano me fait visionner sur son ordinateur l’une de ces vidéos pour me donner un exemple, avec une scène d’une extraordinaire intimité.
Deux grandes femelles adultes, que l’équipe a souvent observées en train de nager ensemble, s’approchent l’une de l’autre. Ce sont Delphine et Vanessa – identifiées de façon certaine grâce à l’analyse génétique de fragments de leur peau récoltée dans l’eau, sans geste invasif. On entend tout à coup Delphine entonner une séquence de clics, appelée « coda », au rythme précis et dont ils savent désormais qu’elle est propre au clan. Mais aussi qu’elle est une invitation aux caresses. Une fois, deux fois, trois fois. Silence. Puis, la même coda. Cette fois-ci, c’est Vanessa – un logiciel créé pour eux permet d’identifier le locuteur, même sous l’eau, alors que les cachalots émettent la bouche fermée.
Et en effet, tandis que le dialogue à deux voix se poursuit, l’une se glisse sous l’autre, fente génitale contre fente génitale – « il arrive que ce soit fente génitale contre nageoire dorsale », précise François Sarano – pendant une trentaine de secondes. Ce comportement sociosexuel entre deux grandes femelles a souvent été observé. Communication, régulation des énergies conflictuelles, resserrement des liens, expression des émotions ou simplement moment de plaisir ? « On peut construire une société sans langage, mais peut-on faire des êtres sociaux sans contact physique ? Probablement pas », répond l’océanologue.
Regardez, sur le site de Longitude 181, des câlins de cachalots saisis par le plongeur Axel Preud’homme.
