En mars 2021, Maung Saungkha a disparu. Sans prévenir. Je le connaissais depuis plusieurs années, c’était un activiste important en Birmanie, un poète remarqué, très critique d’Aung San Suu Kyi. Quand les militaires ont pris le pouvoir, en février 2021, il était évidemment dans la rue, perché sur une chaise ou le toit d’un camion, galvanisant les foules. On s’appelait régulièrement. J’entendais derrière lui les cris, le bruit furieux des poêles, des casseroles martelées chaque soir à 20 heures par les habitants de Rangoun pour signifier leur rejet de la junte. Et puis plus rien. Un silence inquiétant, long de plusieurs semaines. Je ne savais pas encore qu’il était en train de rejoindre discrètement l’État karen et d’y constituer son armée.
Quand je le retrouve, trois ans plus tard, en pleine jungle, après avoir traversé illégalement la frontière séparant la Thaïlande et la Birmanie, c’est un autre homme. Moins insouciant, plus dur, rongé par la mélancolie. Mais généreux. Accompagné du photographe birman Ta Mwe, je passe une semaine en sa compagnie et celle de ses hommes, alors que se déroule, à quelques kilomètres, une violente bataille pour la ville de Hpapun et ses environs – nous serons témoins, au détour d’une route, d’un bombardement aérien.
L’accès que nous avons obtenu est rare. Une immersion dans l’intimité d’un chef de guerre, une espèce qui, d’ordinaire, n’aime pas les journalistes, cultive la distance et le secret. Le poète Maung Saungkha fait figure d’exception.