« Je m’amuse toujours de l’étonnement des jeunes, quand je leur raconte qu’avant 1914 je voyageais en Inde et en Amérique sans posséder de passeport, sans même en avoir jamais vu un », raconte Stefan Zweig dans Le Monde d’hier, Souvenirs d’un Européen, chef-d’œuvre écrit à la veille de son suicide au Brésil, où l’écrivain autrichien, dépossédé de sa nationalité, s’était réfugié pour fuir le nazisme. Aujourd’hui, un Français peut se rendre sans visa dans 164 pays, un Syrien, dans 37, un Afghan, dans 30. Se déplacer, voyager est un marqueur de puissance, de richesse, de pouvoir. Et le passeport pourrait être l’allégorie d’un monde globalisé divisé entre ceux qui peuvent se payer le luxe d’aller partout, et ceux qui ne vont nulle part.
Ce numéro de XXI explore des lignes de fracture à travers des histoires vraies sans frontières. En Australie, où l’eau est désormais cotée en Bourse, le marché a gagné et les agriculteurs trinquent. En Arabie Saoudite, le prince héritier se repose sur un yacht à un demi-milliard de dollars alors que les caisses de son royaume sont presque vides. En France, la mer engloutit des marins payés 3 euros de l’heure, et des invisibles, des oubliés, saisis dans l’objectif d’un photographe, se privent pour nourrir leurs enfants. À défaut de pouvoir leur offrir des visas pour un monde plus juste, XXI leur donne un visage.