Il est, à l’Académie française, quarante fauteuils, tous numérotés. Chacun a sa propre histoire, liée à la personnalité de ses titulaires, liés eux-mêmes à l’histoire de France. À ce titre, le numéro 16 est exceptionnel. Ce fauteuil porte la mémoire des principaux débats qui agitent la France. S’attarder sur les quatre dernières personnalités qui l’occupèrent, c’est se trouver confronté à un nœud d’interrogations où se mêlent nationalisme, patriotisme, indignité nationale, identité, négritude, immigration, invasion... L’histoire du numéro 16 ne s’écrit pas en « bleu blanc rouge », mais en « bleu blanc noir ».
Charles Maurras est élu au numéro 16 en juin 1938. Chantre du « nationalisme intégral » et pourfendeur de « l’anti-France » – « les Juifs, les protestants, les maçons et les métèques » –, l’écrivain polémiste est alors au faîte de sa gloire. Entre 1921 et 1931, la population étrangère – Polonais, Italiens, Belges, Russes, Arméniens, « Indigènes »... – a doublé pour s’établir à 6,6 %. Les journaux, prompts à fustiger les « métissages imprudents », évoquent une France en passe de devenir l’« hôpital du monde ». Le successeur de Maurras au fauteuil, le duc de Lévis-Mirepoix, est élu à l’Académie en 1953. Titulaire de la Francisque, collaborateur à l’hebdomadaire La Nation française, il occupe le numéro 16 jusqu’à sa mort, en 1981, et assiste aux transformations qui, à la fin des années 1960, font de la France le pays comptant proportionnellement le plus d’étrangers au monde, États-Unis compris.
Tout au long de ces années, le « métèque » et « indigène » Léopold Sédar Senghor fait bien du chemin. L’ancien enrôlé au 31ᵉ régiment d’infanterie coloniale, détenu deux ans dans un stalag, devient député, puis ministre conseiller du gouvernement Debré, puis membre de la commission chargée d’élaborer la Constitution de la Vᵉ République et, enfin, président du Sénégal. Le symbole témoigne du chemin parcouru.
Mais les temps ont, à nouveau, changé. Le choc pétrolier de 1973 a mis un coup d’arrêt à l’immigration économique. Sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, le discours évolue : il faut, au travers du regroupement familial et de l’intégration, fixer les étrangers. Les frontières se referment. Devenu à son tour Président en 1981, l’ancien ministre de la France d’Outre-mer et des Colonies, François Mitterrand, confirme l’orientation. Les visas deviennent obligatoires pour les anciennes colonies.
Léopold Sédar Senghor meurt en 2001. Ni le président Jacques Chirac ni le Premier ministre Lionel Jospin ne se rendent à ses obsèques. Valéry Giscard d’Estaing qui, une dizaine d’années plus tôt, avait lancé un pavé dans la mare en posant l’équation « immigration, invasion », prend son fauteuil, le numéro 16 bien sûr. La boucle est symboliquement bouclée. Elle se referme par la création, en 2007, d’un ministère de l’Immigration, de l’Intégration et de l’Identité nationale. Ces trois notions – immigration, intégration, identité nationale – sont au cœur du dossier « bleu blanc noir » de « XXI ».