Elles n’ont parfois que 15 ou 16 ans. Destinées à un homme qu’elles n’ont pas choisi, elles rêvent de mots doux susurrés et de baisers volés. Alors elles couchent leurs rêves sur de petits cahiers. Elles les transforment en histoires d’amour, en amants imaginaires, en rencontres manquées. Des fictions à l’eau de rose vendues sur les étals des marchés à la poussière ocre.
Ces romances, appelées littattafan soyayya, se sont développées depuis les années 1980 dans le nord musulman du Nigeria, là où la secte Boko Haram perpétue régulièrement des attentats. Certaines petites écrivaines, audacieuses, dénoncent les mariages précoces et appellent à l’éducation des jeunes filles. La plupart, prudentes, voire conservatrices, décrivent la vie ordinaire, l’arrivée d’un enfant, le lait d’un sein qui se tarit. Leurs fictions racontent l’intimité des maisons, les attentes d’un mari, la douleur provoquée par une infidélité, les conflits entre épouses dans une famille polygame.
Écrire sert d’échappatoire. Enfermées à la maison, censurées par la hisba, la police islamique de la moralité, elles se glissent dans la peau d’autres personnages. Et c’est l’amour, la mélancolie, l’espoir, le désir de liberté qui jaillissent sous leurs lettres rondes. Dans tout le Sahel, on dévore ces romances bon marché dans le taxi, à la maison. Les écrivaines laissent leur numéro de téléphone au dos et reçoivent des appels de fans, reconnaissants de ces pages d’humanité partagée.
On a tous besoin d’histoires pour vivre. On les écrit pour construire, partager. On les lit pour vibrer, sentir, explorer. « Je préfère les hommes aux idées », dit Chimamanda Ngozi Adichie. Auteure de best-sellers traduits dans trente langues, devenue l’une des plumes les plus célèbres d’Afrique, la Nigériane aurait pu pondre des traités sur le colonialisme. Mais si ses fresques nous marquent, c’est qu’elles sont écrites à hauteur d’homme. L’Autre Moitié du soleil (Éd. Gall, 2008) n’est pas un roman sur les soubresauts du Biafra, guerre d’indépendance sanglante. C’est l’histoire d’amour de la belle Olanna et d’un intellectuel engagé. Leur boy de 13 ans, Ugwu, clame : « Le monde s’est tu pendant que nous mourions », et beaucoup est dit d’un conflit qui a tué plus d’un million de Nigérians.
XXI aussi peut raconter des choses graves. Mais, dans ces récits où tout est vrai, les auteurs scrutent nos frères humains. Pour faire vivre un lieu, une époque, ils déploient des personnages, des « amis de feuilles et d’encre ». Ce sont d’autres vies que les leurs. D’autres mondes que les nôtres. Le journalisme fait chair. « Si tu ne comprends pas, pose des questions, dit Chimamanda Ngozi Adichie. Si poser des questions te met mal à l’aise, dis-le, et pose-les quand même. On voit facilement si une question part d’une bonne intention. Puis écoute encore davantage. Parfois les gens ont seulement envie d’être entendus. »