C’était il y a une quinzaine d’années, au milieu des années 1990. Capitale d’un Zaïre finissant, Kinshasa s’était transformée en un immense potager. Dans cette ville flamboyante, la plus grande d’Afrique après Lagos, des rangées de légumes avaient été plantées partout. J’avais décrit cette évolution dans Le Figaro. Le récit fit réagir les Kinois qui, disaient-ils, n’avaient pas vu, comme souvent lorsque l’on vit sur place.
Couverte de potagers, Kinshasa était, aussi, en pleine expansion : des quartiers s’ajoutaient aux quartiers, ses limites ne cessaient d’être repoussées. La ville témoignait alors d’un phénomène qui s’est accéléré mais, là, il était impossible de le voir au ras du sol : c’est à l’échelle de la planète qu’il aurait fallu regarder.
De la lune ou d’un satellite, le mouvement nous aurait sans doute intrigué. Année après année, nous aurions vu se développer les ceintures de lumière qui, à la nuit, parsèment la terre. Nous aurions constaté l’inexorable accélération du phénomène, et nous nous serions sans doute dit que la planète entrait dans un nouveau cycle.
C’est fait, nous y sommes. Le point de bascule a été franchi en 2008. Depuis deux ans, selon l’ONU, plus de la moitié de l’humanité vit en ville. Et le mouvement devrait s’accélérer : dans vingt ans, en 2030, la planète devrait compter 60 % d’urbains. Contre moitié moins, 30 %, en 1950.
Mais ce n’est pas tout. La bascule en cours est double. Les concentrations urbaines étaient au XXᵉ siècle l’apanage des pays du Nord. C’en est bientôt fini. Dans vingt ans, en 2030, les pays en voie de développement abriteront 80% des citadins de la planète, soit quatre milliards d’urbains !
Si les villes accroissent ainsi leur emprise sur la planète, c’est que les déplacements de population ne cessent de s’accélérer, à l’intérieur des pays mais aussi entre les pays. Voici encore un peu plus de vingt ans, Charm el-Cheikh n’était qu’un petit village de pêcheurs égyptiens du bord de la mer Rouge. C’est aujourd’hui une immense agglomération touristique où débarquent chaque année des vagues de dizaines de milliers de visiteurs venus de Russie, d’Allemagne, de France...
Cette bascule de l’humanité touche plus le Sud que le Nord. De fait, un nouveau monde s’annonce. À quoi ressemblera-t-il ? Nous ne le savons pas encore. Ce que nous savons, ce que nous pouvons raconter, est ce qui est déjà écrit. C’est pour cela que nous avons choisi d’évoquer le destin de trois villes du XXᵉ siècle, chacune symbole du renversement en cours.