En 1996, l’Algérie traversait les « années noires », le nom donné à une guerre civile de dix ans qui vit chacun être l’ennemi de tous. Ce conflit intérieur fit au moins deux cent mille morts. Comme celui de l’indépendance, les « années noires » restent une période trouble. Elles pèsent sur la mémoire de l’Algérie comme les « événements » pèsent sur la mémoire de la France.
Dans un cas comme dans l’autre, il y eut scission. La fracture en France s’opère avec l’émergence, en 1961, de l’Organisation armée secrète (OAS) dont le slogan est « L’Algérie est française et le restera ». Le conflit se durcit à l’extrême et crée en métropole une atmosphère de guerre civile. La fracture en Algérie s’opère quand l’islamisme supplante, en 1992, le nationalisme à la faveur d’une expérience démocratique inédite dans le pays.
Les ressorts de ces deux guerres civiles, la française et l’algérienne, sont différents. Leur temporalité aussi : 1962 contre 1992. Mais il y a un point commun : la France bascule un peu plus de quinze ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’Algérie bascule trente ans après l’indépendance. Les deux pays vivent chacun, à des années de distance, un bouleversement d’ampleur.
Le décalage date de l’origine. En mai 1945, quand la France fête sa liberté retrouvée, les premières revendications indépendantistes démarrent à Sétif, une ville du Constantinois algérien. Paris en liesse est pavoisé, les manifestations de Sétif violemment réprimées (de quatre mille à dix mille morts).
Il se poursuit dans le temps. En 1962, la France se déchire sur la question algérienne. Au même moment, l’ancienne colonie se réjouit de son indépendance tout juste arrachée. Il est toujours d’actualité. En 2010, le film Des hommes et des dieux est plébiscité par le public français quand le public algérien opte pour Hors-la-loi, qui, dans ses premiers instants, évoque le soulèvement de Sétif.
Près de cinquante ans après l'indépendance de l’Algérie, l’histoire n’a pas encore réuni les différentes mémoires. De part et d’autre de la Méditerranée, il reste à raccommoder des temps différents. Ce qu’a voulu faire Christian de Chergé, d’autres – inconnus encore – le feront.