Trois ans après la crise financière de 2008, la banque américaine J. P. Morgan Chase & Co restait, d’après un classement Forbes, la première entreprise mondiale avec un actif de 2 031 milliards de dollars. Forte de 90 millions de clients, la banque opère dans plus de 60 pays.
À la tête de la banque depuis 2005, Jamie Dimon a longtemps été célébré. Habile et brillant, tout semblait lui réussir. Un an après sa nomination, le magazine Fortune le qualifie de « toughest guy on Wall Street », « le gars le plus fort de Wall Street ».
Jamie Dimon semble « marcher sur l’eau » au début de la crise financière de 2008, raconte un analyste. Le PDG de J. P. Morgan Chase rachète pour une bouchée de pain la banque d’affaires Bear Stearns. Il reprend aussi la caisse d’épargne Washington Mutual en faillite, et précipite sans complexe la chute de Lehman Brothers. Ces « coups » confortent sa réputation : pompier de Wall Street, il est celui qui sait tirer profit de la crise.
Devenu l’avocat de Wall Street, Jamie Dimon est rattrapé par sa conduite à risques. Depuis trois ans, J. P. Morgan et son patron font face à une invraisemblable accumulation de scandales. Le bal des plaintes commence en 2010. Les anciens administrateurs de Lehman Brothers attaquent la banque en justice. Accusée de lui avoir illégalement soutiré plusieurs milliards de dollars, J. P. Morgan aurait précipité le dépôt de bilan, et donc la crise mondiale.
En 2013, tout s’emballe. Avec une enquête sur les mauvaises pratiques de la banque en Chine, où elle est soupçonnée d’avoir engagé à dessein les enfants de hauts responsables chinois. Avec un remboursement au fonds de pension des ingénieurs américain. Avec un versement de 410 millions de dollars en échange de l’abandon de poursuites pour manipulation des prix de l’énergie. Avec, enfin, une amende record de 13 milliards de dollars qui permet d’effacer une partie des poursuites liées aux « subprimes ».
On croit avoir tout vu, c’est alors qu’apparaît un nouveau scandale. Un fonds de pension accuse J. P. Morgan et six banques d’avoir manipulé les taux de change, un marché de 4 000 milliards de dollars par jour. Les chiffres donnent le vertige, les incriminations aussi. « Fraude », « pratiques douteuses », « manipulation », « mauvaises pratiques » : ce sont là des mots qui évoquent plus l’univers du crime organisé que celui d’une banque.
Jamie Dimon n’en a cure. « Je n’aime pas perdre de l’argent », lâche-t-il comme en écho au fameux « Greed is good », « le fric, c’est bon », lancé par un trader dans Wall Street, un film sorti en 1987. Un financier avait inspiré l’histoire, il a été condamné à dix ans de prison, lui. Pour des faits bien moins graves. Dans son enfance, Jamie Dimon était surnommé « Mad Dog ». Les « chiens fous » sont nombreux dans l’univers de la finance, où l’argent tourbillonne au risque de rendre aveugle.
Mais l’argent a aussi un côté face. Créateur, il est un instrument qui permet aux sociétés humaines de faire commerce et de s’organiser. Par son intermédiaire, tout est possible. S’il est une fin pour les uns, il est un moyen pour d’autres.