Le 9 novembre 2016, Michal Kosinski observe le sourire réjoui de Donald Trump, prend une grande inspiration et éteint la télévision. Son mauvais pressentiment se vérifie quand une société britannique de marketing déclare : « Nous sommes ravis que notre approche révolutionnaire en matière de communication ait joué un rôle aussi essentiel dans la victoire du président Trump. » La société s’appelle Cambridge Analytica. Elle utilise des outils d’analyses de données créés par Michal Kosinski. « Le monstre » lui a échappé.
Ce chercheur polonais est spécialiste de la psychométrie, la science qui cerne notre personnalité. Pendant son doctorat à Cambridge, il développe une application destinée à la recherche. Des milliers, puis des millions de personnes remplissent son questionnaire.
Sa gigantesque base de données corrèle profils Facebook et caractéristiques psychologiques. En fonction de nos « likes », il connaît nos orientations sexuelles, notre couleur de peau, nos opinions politiques. Il peut aussi trouver des profils spécifiques, des hommes noirs aimant le rap, ou des électeurs indécis dans l’Iowa. Les empreintes numériques deviennent des personnes avec des goûts, des adresses. Kosinski joint des avertissements à ses travaux qui « pourraient constituer une menace pour le bien-être, la liberté ou même la vie d’un individu ». En 2014, il refuse de céder son application et part enseigner aux États-Unis.
Quelques jours après la victoire de Trump, un journaliste suisse, Hannes Grassegger, recueille son témoignage. Michal Kosinski est mortifié. Dès 2015, lors du Brexit, Cambridge Analytica a mis son « monstre » au service de camp du « leave ». L’enquête de Hannes Grassegger est traduite dans plusieurs langues. Début 2017, le scandale est mondial. Cambridge Analytica met la clé sous la porte, Facebook est poursuivi en justice. Kosinski alerte sur les dangers de la personnalisation des données.
Avec nos « likes », nous sommes chaque jour un peu moins exposés aux points de vue contradictoires. Nous avons l’impression de choisir notre information, mais c’est elle qui s’impose à nous. Le problème n’est pas tant de consommer des fausses nouvelles, mais de ne plus avoir accès aux vraies. Nous créons tous notre propre chambre d’échos – le rêve de toute dictature. Les auteurs de XXI nous aident à sortir de cette grotte du XXIᵉ siècle. Nous publions une enquête de Hannes Grassegger, inédite en France. Six mois durant, il a décrypté la formule du Frankenstein des campagnes électorales. Il s’appelle Arthur Finkelstein et a inventé une machine à faire élire des conservateurs, de Reagan à Orbán ou Netanyahou. Un tutoriel du populisme moderne. Sortir de la grotte, c’est s’attaquer aux idées reçues. Et à ceux qui les instrumentalisent.