Notre corps est un territoire, intime et convoité. Ce numéro raconte combien la chimie et les professionnels de santé ont conquis notre cœur, notre bouche, notre sang, nos tissus, dans le but de les soigner, mais aussi parfois de faire fortune. Ils ont répondu à nos aspirations les plus profondes, devancé et même créé nos désirs. Cet intime est devenu un territoire économique et politique. Subrepticement, nous avons baissé les bras face à cette intrusion.
En parallèle, la crise sanitaire due au Covid a provoqué une extension considérable du pouvoir des États.
Du jour au lendemain, notre corps a été entravé, domestiqué, caché, soumis à des horaires arbitraires. Nos déplacements ont été empêchés. On nous a imposé un renoncement à la nuit, à ses excès et ses rencontres. On peut s’en inquiéter. On peut aussi, comme le philosophe Michaël Fœssel, chantre de la fête comme lieu de cohésion, se dire que ce long tunnel nous a rappelé une règle fondamentale : dans une démocratie, tout se tient, les mesures de santé publique qui nous protègent, les libertés individuelles et les expériences qu’on croyait les plus ordinaires.
Et lancer, comme lui, un pari plus optimiste : « Le fait que le pouvoir se soit invité dans les vies intimes peut susciter un désir de participer collectivement à son exercice, sans lequel il n’y a pas de démocratie. »