En Afrique, on ne s’exile pas : on « fait l’aventure ». « Faire l’aventure », c’est partir au loin, loin du village, loin du pays, loin de ce que l’on connaît. Baluchon à l’épaule, « l’aventurier » taille la route pour se tracer un destin, ailleurs. Jeune, il porte l’espoir de sa famille, laquelle voit dans « l’aventure » un passage à l’âge adulte. Des villages entiers en Afrique ont « fait l’aventure ». Les plus anciens, aujourd’hui de retour chez eux, ont répondu à l’appel de l’embauche de l’Europe des années 1970. Parés des atours de « l’aventure » et forts d’expériences souvent enjolivées, ils nourrissent les rêves d’assemblées réunies aux veillées.
Irrésistiblement, et tout comme les récits des anciens colonisateurs partis eux aussi « faire l’aventure », leur parole met en scène des terres et des mondes à l’allure d’Eldorado. Car telle est « l’aventure » : elle se doit d’être justifiée et d’avoir un sens. Quitte à sublimer la réalité.
Poussés par la crise, par l’envie, par la soif, les jeunes Portugais s’en vont la « faire » en Angola tandis que les jeunes Espagnols partent la « faire » en Europe du Nord. Les jeunes Français, les jeunes Pakistanais et les jeunes Afghans « font l’aventure » en Angleterre tandis que les jeunes Chinois la « font » en France et en Afrique. Les jeunes Nigérians et les jeunes Russes « font l’aventure » aux États-Unis. Les jeunes Coréens, Turcs et Égyptiens voient, eux, débarquer en leurs pays de jeunes Occidentaux.
Le monde, auparavant divisé en quartiers séparés par de rudes obstacles – ses mers, ses terres, ses montagnes et ses déserts –, s’est libéré de la géographie. « L’aventure » n’est plus l’exclusive du nord. Désormais, de l’ouest, de l’est, du sud et du nord, elle dessine une pelote aux fils entremêlés.
Les destins se croisent, se heurtent, s’éloignent, se cognent, rebondissent, se rapprochent pour se croiser, se cogner et rebondir à nouveau, encore et encore, sans fin, de plus en plus vite. Les chocs multiples entre les cultures et les peuples font des étincelles et allument parfois des incendies. Ils ne sauraient se réduire à ces feux.
Les rêves d’ailleurs mêlent envie de bâtir, foi en l’avenir et dynamisme. Ils irriguent un monde où l’on peut être riche ici et pauvre là, où l’on peut être fort et fragile à la fois, où l’héroïsme sait se faire discret. C’est ce que disent les histoires de Maizam, Mohammed, Ogosto, Hassane, Rougui, Coumba, Rania, Maïmouna, Sabri, Tacko, Nouriatou et Anne Lind qui, comme des milliers d’autres, ont « fait l’aventure ».
