Depuis quand le football français attire-t-il autant les fonds d’investissement ?
Il y a déjà eu des cas dans le passé. En 2006, le PSG a été détenu par le fonds d’investissement américain Colony Capital, avant l’arrivée du Qatar en 2011. Ce n’est pas un phénomène nouveau, mais il s’est très fortement accéléré ces dernières années, notamment depuis le Covid-19. Après la pandémie, beaucoup de clubs ont eu un besoin de liquidités, et l’apport de capitaux nouveaux a été bienvenu. Ce mouvement s’accompagne d’une forte inflation de la valeur des clubs, en partie due au fait qu’il y a de plus en plus d’argent dans le foot européen : les décennies 1990 à 2020 ont été, en quelque sorte, les Trente Glorieuses du football.
Or, les fonds d’investissement ont tendance à penser que les clubs français et européens sont globalement sous-évalués par rapport à une « valeur de marché » ; ils espèrent donc réaliser une plus-value en les rachetant. Ils sont également attirés par une anticipation à la hausse des droits TV, ainsi que par la qualité de la formation des footballeurs, français notamment – n’oublions pas que le football français est le deuxième fournisseur des clubs européens en termes de jeunes joueurs formés, après le Brésil. Enfin, le marché des transferts est inflationniste, ce qui leur fait miroiter des rendements liés à la revente des joueurs.
Qu’est-ce qui explique une arrivée aussi massive d’investisseurs américains dans le football français et européen ?
Aux États-Unis on observe un intérêt grandissant pour le soccer – le terme utilisé aux USA et au Canada pour désigner le football tel qu’il est pratiqué dans les pays européens –, côté popularité comme côté finances. Là-bas, il faut près de 650 millions de dollars en moyenne pour acheter une franchise [une équipe sportive est admise dans une ligue professionnelle par achat d’une franchise, par opposition au système de promotion et relégation des clubs, ndlr]. C’est quatre fois plus que dix ans auparavant. On se rapproche un peu des standards européens du foot. Conclusion : cette économie est en train de décoller, et de nombreux investisseurs se tournent vers le marché européen sur lequel de nombreux clubs sont moins chers. L’organisation de la Coupe du monde de football aux États-Unis en 2026 [par les États-Unis, le Canada et le Mexique, en juin et juillet, nldr] renforce aussi l’intérêt des fonds d’investissement, notamment américains, mais pas uniquement.
Il y a une autre explication : le football est quand même le sport le plus populaire du monde, donc à partir du moment où vous achetez un club, on va parler de vous. En termes de publicité ce n’est pas négligeable ! On observe également cette arrivée des Américains dans le foot dans d’autres pays, comme la Belgique ou l’Italie. Plus de 70 clubs européens sont actuellement possédés par des Américains – propriétaires individuels ou fonds d’investissement.
Cet intérêt pour les clubs européens s’accompagne-t-il parfois de désillusions ?
Oui, même pour les entrepreneurs américains qui ont très bien réussi dans les affaires, l’investissement dans des clubs de foot européens s’avère parfois plus compliqué qu’attendu… Il y a peut-être une incompréhension de leur part de la culture européenne. Parce qu’aux États-Unis, l’économie est très libérale, mais les sports collectifs sont très régulés, pratiquement comme dans une économie soviétique. Par exemple, au début de chaque saison, la ligue décide par un accord avec les joueurs – un CBA, « collective bargaining agreement » – du plafond salarial qui permet aux clubs de pouvoir générer des profits. Alors qu’en Europe on a un football assez libéral, assez peu régulé, où chaque club décide de sa masse salariale. Les équipes sont en concurrence pour faire venir les meilleurs joueurs, et très peu de clubs dégagent des bénéfices : elles préfèrent les victoires au profit.
Des entrepreneurs familiaux peuvent-ils encore racheter un club de foot aujourd’hui ?
C’est surtout un problème de surface financière, puisque les clubs valent de plus en plus cher. Il y a encore de la place pour ces gens-là, oui, mais pas forcément dans toutes les ligues. Pour investir en Premier League [le championnat d’Angleterre, ndlr], désormais, il faut être vraiment solide financièrement. C’est pour ça qu’on voit apparaître des participations minoritaires ou des fonds d’investissement qui, eux, peuvent se le permettre. Plusieurs clubs anglais valent aujourd’hui autour de 5 milliards d’euros : Manchester United, Liverpool, Manchester City…
Un seul propriétaire détient parfois plusieurs clubs européens, susceptibles de jouer dans les mêmes divisions. Quels problèmes cela peut-il poser ?
À terme, le développement de la multipropriété va forcément créer des conflits d’intérêt, même si, jusqu’à présent, ces situations sont à peu près régulées. Par exemple, fin 2023, il y a eu le cas, avec la possibilité que le Toulouse FC et l’AC Milan – tous deux appartenant à la holding américaine RedBird Capital Partner – s’affrontent en barrages de la Ligue Europa. L’UEFA a inventé une règle : tant qu’on ne peut pas montrer qu’il y a une « influence décisive » du propriétaire sur la stratégie sportive des différents clubs possédés, ceux-ci peuvent jouer dans la même compétition. Mais cela posera forcément des problèmes un jour ou l’autre. L’Europe compte une centaine de galaxies de clubs, ce n’est pas rien. Un tiers de ces galaxies se trouvent aux mains des Américains.