Héroïnes lumineuses

Photo par Federico Estol Écrit par Martina Bacigalupo
En ligne le 11 juillet 2022
Héroïnes lumineuses

Chaque matin, élégantes et dignes, Ester et Rosita quittent la banlieue populaire d’El Alto, en Bolivie, pour aller travailler à La Paz. Leurs voisins et leur famille ignorent comment elles gagnent leur vie. À peine arrivées en centre-ville, elles s’engouffrent dans un local associatif, rangent leur jolie jupe bouffante, sautent dans un pantalon informe et enfilent une cagoule de skieur. On ne voit plus que leurs yeux. Les voilà masquées, transformées en cireuses de chaussures. C’est leur secret. En Bolivie, ce métier est honteux et les trois mille cireurs de la capitale, suspects.

En 2015, le photographe uruguayen Federico Estol pousse la porte d’Hormigón armado – Béton armé –, l’association de soutien des cireurs de La Paz. Il démarre un projet documentaire sur ces travailleurs de l’ombre. Au début, les photos ne donnent rien. « Quoi que je fasse, la cagoule avait toujours une connotation négative. Mes images confirmaient le stéréotype des cireurs dangereux, voyous, voleurs. »

Il réfléchit, organise des ateliers photo avec soixante cireurs, et explore avec eux l’imaginaire des BD et des mangas. Les cagoules deviennent des masques de super-héros. Les cireurs sont les « héros du brillant », magiciens capables de transformer des souliers en objets qui brillent. Les « Héroes del Brillo » voient le jour.

À travers un système de miroirs et de flashs, la bande de Federico Estol invente un rite urbain fait de faisceaux lumineux et de boules magiques, où les brosses du cireur sont des armes imaginaires, les corps occultés des silhouettes invincibles et les chaussures cirées des objets précieux. Comme les stars de Dragon Ball, qui sauvent la planète grâce à des ondes d’énergie, les « héros du brillant » font scintiller le monde grâce à leurs boules de lumière.

Les photos sont publiées dans le journal de rue de l’association, qui cartonne. Sur 6 000 exemplaires, 5 500 se vendent comme des petits pains dans les rues de La Paz. Les 500 autres font le tour du monde dans les foires internationales de photographie. « Ces photos ont été faites avec et pour les cireurs. Elles leur appartiennent », dit Federico. Il partage avec eux les revenus du projet. « Ils les ont mises sur un site, dans un calendrier, et ils en ont même fait des t-shirts. Qui sait ce qu’ils vont encore inventer ? »

À la frontière du documentaire et de l’activisme, cette photographie dénonce, fédère, et offre un nouveau regard. Leur journal à la main, Rosita et Ester marchent dans les rues avec fierté : « Nous ne sommes pas des bandits, voyez ? Nous sommes des héros ! »