Et la lumière nomade fut

Photos par Rubén Salgado Escudero Un récit photo de Camille Drouet Chades
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Et la lumière nomade fut
À la nuit tombée, Rubén Salgado Escudero part en quête de la lumière solaire. Celle qui permet à des communautés vivant sans électricité de s’éclairer, grâce à des kits photovoltaïques nomades. En Birmanie, en Ouganda ou encore au Mexique, le photographe espagnol a pu mesurer la révolution que représente l’apparition de cette technologie inespérée.
À la nuit tombée, Rubén Salgado Escudero part en quête de la lumière solaire. Celle qui permet à des communautés vivant sans électricité de s’éclairer, grâce à des kits photovoltaïques nomades. En Birmanie, en Ouganda ou encore au Mexique, le photographe espagnol a pu mesurer la révolution que représente l’apparition de cette technologie inespérée.
Birmanie, 2014. Too Lei pose avec son éléphant dans la région de Bago, près de Rangoun. Les pachydermes y sont utilisés depuis plus de trois siècles pour tirer les troncs des arbres coupés dans la forêt. À l’époque de la photo, les trois quarts de la population rurale de Birmanie n’ont pas accès à l’électricité, selon la Banque mondiale. Dans les zones qui en sont dépourvues, presque tous les travaux agricoles se font à la main et de jour. « Mais ici, quelques maisons sont équipées de panneaux solaires qui permettent de recharger des lampes LED. Grâce à elles, les “oozies” [ceux qui travaillent avec les éléphants, NDLR] peuvent décaler les soins aux animaux à la tombée de la nuit. Et surtout passer plus de temps en famille », relate le photographe.
Birmanie, 2014. Daw Chit Mone, 36 ans, est sage-femme dans un village de l’État de Kayah. Les sages-femmes jouent un rôle crucial dans le pays, où plus de 70 % de la population vit dans des zones rurales souvent très éloignées des hôpitaux. Les « anges rouges », comme les appellent les Birmans, prennent donc souvent en charge bien plus que la santé des futures mères et des nouveau-nés. « Quand j’ai photographié cette femme en 2014, elle disposait depuis quelques mois d’un panneau solaire que les Nations unies lui avaient fourni. Auparavant, elle assistait les accouchements à la lampe torche – mais les piles sont très chères – ou avec des bougies qui, en plus d’être coûteuses et dangereuses, ne fournissent qu’un piètre éclairage », se remémore Rubén Salgado Escudero.
Birmanie, 2014. Dans l’est du pays, des fermiers jouent dans un champ au chinlon, un sport traditionnel de balle. « Parmi les 68 000 villages que compte le pays, seuls 3 000 environ disposent de l’électricité. Alors, passer un moment à s’amuser une fois le soleil couché, ça peut paraître anodin, mais c’est un sacré changement de qualité de vie », souligne le photographe. L’Agence internationale de l’énergie estime qu’environ 750 millions de personnes dans le monde vivent sans accès à l’électricité. Plus de 95 % d’entre elles habitent en Afrique subsaharienne ou en Asie.

Ces enfants n’ont pas la lumière chez eux, mais au centre communautaire ils peuvent étudier une fois le soleil couché.

Rubén Salgado Escudero
Birmanie, 2014. Des écoliers font leurs devoirs dans un centre communautaire équipé de panneaux photovoltaïques, près de Taman Chan, dans le sud du pays. Qualifiée d’« obstacle fondamental au progrès » par la Banque mondiale, la pauvreté énergétique a des conséquences tangibles sur la santé, la sécurité alimentaire, l’égalité entre hommes et femmes ou l’éducation, par exemple le niveau de diplôme. « Ces enfants n’ont pas la lumière chez eux, mais au centre ils peuvent étudier une fois le soleil couché pour se construire un futur meilleur », analyse le photographe.
Ouganda, 2015. Denis Okikor a équipé son salon de coiffure de lampes solaires deux ans plus tôt. « Ses clients préféraient venir le soir, se souvient Rubén Salgado Escudero. L’Ouganda a l’un des taux d’électrification les plus bas d’Afrique : à l’époque, seuls 19 % de ses habitants en bénéficiaient, avec une forte disparité entre les villes et les zones rurales. » L’Espagnol travaille en étroite relation avec les ONG des pays qu'il photographie. Généralement, la population ougandaise s’éclaire à la bougie ou avec des dispositifs fonctionnant aux énergies fossiles, comme les lampes à pétrole. Ces solutions polluantes et nocives pour la santé sont d’autant plus dangereuses dans des maisons souvent construites en bois.
Ouganda, 2015. « L’électricité est un luxe rare en Ouganda. À la veille d’une messe importante, cette chorale répétait éclairée par des lampes solaires, se souvient Rubén Salgado Escudero. En général, un panneau photovoltaïque portatif permet de charger simultanément quatre ampoules qui fournissent douze heures de lumière continue ainsi que des téléphones portables via un ou deux ports USB. » Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), en 2021, 567 millions de personnes n’avaient pas accès à l’électricité en Afrique subsaharienne, soit plus de 80 % de la population. Des chiffres presque identiques à ceux de 2010.
Inde, 2015. Des ouvriers de nuit préparent une commande de briques pour un chantier, près de Saipur, dans le nord-est du pays. Au moment de la photo, environ un quart de la population mondiale n’ayant pas accès à l’électricité se trouve en Inde. « Les kits solaires, souvent distribués gratuitement par des ONG, coûtent entre 60 et 100 dollars. Des cours sont dispensés pour apprendre à les utiliser et les réparer. Certaines entreprises les installent grâce à des microcrédits, remboursés au rythme d’un ou deux dollars par mois », explique le photographe.

Pour la première fois, nous pouvons nous regarder dans les yeux pendant nos moments intimes.

Faustina, au Mexique
Mexique, 2017. Depuis peu, quand l’astre du jour disparaît, l’éclairage solaire prend le relais chez Faustina Flores Carranza, 68 ans, et son époux, Juan Astudillo Jesús, de trois ans son cadet. Mariés depuis cinquante ans, ils ont sept enfants et vivent dans l'État de Guerrero, dans le sud-ouest du pays. Comme beaucoup de membres de la communauté indigène mixtèque, ils n’avaient jamais eu accès à l’électricité. Quand Rubén Salgado Escudero leur a demandé quel impact cette nouveauté a eu sur leur vie, Faustina a répondu : « Pour la première fois, nous pouvons nous regarder dans les yeux pendant nos moments intimes. »
États-Unis, 2019. Shavone Travick (en rose) profite d’une soirée jeux de société avec des amis dans sa maison de Detroit, dans le Michigan. En juillet 2013, la ville, acculée par une dette de plus de 18 milliards de dollars, s’est déclarée en faillite, entraînant dans sa chute certains des services municipaux essentiels. « Les quartiers les plus pauvres de Detroit subissaient de fréquentes coupures de courant. Dans le même temps, les factures s’envolaient pour les résidents. Shavone et ses enfants, qui vivaient dans une de ces zones abandonnées par les pouvoirs publics, venaient de recevoir des panneaux solaires d’une ONG », raconte Rubén Salgado Escudero.
Colombie, 2019. Santiago, Victor, José, Manuel et Jona sont des jeunes Vénézuéliens qui ont fui leur pays – comme 7,7 millions de leurs compatriotes depuis les années 2000. Ils avancent de nuit sur la route qui relie Pamplona à La Laguna, dans le nord-est du pays. « Au moment de la photo, cela fait deux jours qu’ils marchent sans répit ni abri. Ils n’ont pas de passeport ou d’argent pour se payer le bus. Le long de cette route, une organisation humanitaire distribue des lampes solaires pour rendre hommes, femmes et enfants plus visibles et aider les exilés dans leur quotidien », relate le photographe. Au cours des mois précédant la photo, plusieurs personnes sont mortes, fauchées par des voitures.
Allemagne, 2021. Chinecherem Joseph Okoli-Onumazi effectue un test antigénique devant le club de Holzmarkt 25, un espace alternatif berlinois. « Joe » travaille pour Coronabike, une entreprise financée par l’État qui réalise des tests Covid gratuits et sans rendez-vous dans la capitale. Une fois la nuit tombée, ces laboratoires itinérants s’éclairent à l’énergie solaire. « En plus de l’impact qu’elle peut avoir rapidement sur des millions de vie, cette technologie pourrait avoir un effet substantiel sur l’empreinte carbone mondiale. L’Agence pour la protection de l’environnement estime qu’un tiers des émissions de gaz à effet de serre provient de la production d’électricité. Augmenter la part qui provient d’une énergie renouvelable réduirait les émissions », soutient le photographe.

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