Femmes d’Afghanistan, une résistance clandestine

Photos par Kiana Hayeri Un récit photo de Martina Bacigalupo
18 juin 2025
femmes journalistes en Afghanistan
Exclues de la vie publique, expulsées des écoles, interdites d’exercer leur métier, les Afghanes vivent sous le joug des talibans depuis 2021. Mais certaines bravent les lois et les patrouilles pour continuer à étudier, à travailler, parfois simplement à vivre. La photographe Kiana Hayeri a recueilli leurs témoignages et leurs portraits, les réinscrivant dans l’histoire.
Exclues de la vie publique, expulsées des écoles, interdites d’exercer leur métier, les Afghanes vivent sous le joug des talibans depuis 2021. Mais certaines bravent les lois et les patrouilles pour continuer à étudier, à travailler, parfois simplement à vivre. La photographe Kiana Hayeri a recueilli leurs témoignages et leurs portraits, les réinscrivant dans l’histoire.

Quand les talibans ont repris le pouvoir en 2021 en Afghanistan, les femmes ont été écartées de la vie publique en l’espace de quelques semaines. Selon le dernier rapport de l’ONG Human Rights Watch, le pays est aujourd’hui le seul au monde où les filles et les femmes n’ont pas accès au cycle scolaire d’enseignement secondaire ni aux universités. Elles subissent également des restrictions de plus en plus importantes en matière d’emploi et de liberté de réunion et d’expression. L’instauration de règles strictes concernant le port du voile et la présence de tuteurs masculins (mahram) empêchent en outre les femmes de se déplacer pour aller travailler ou pour recevoir des soins médicaux.

Un chemin pour la prochaine génération

Kiana Hayeri, photographe irano-canadienne basée à Kaboul pendant presque une décennie, a quitté le pays un an après le retour des talibans. Vivant désormais à Sarajevo, elle est retournée en Afghanistan en 2024 avec Mélissa Cornet, chercheuse française en droits des femmes et artiste. Ensemble, elles ont sillonné sept provinces pendant plusieurs mois, recueillant les témoignages d’une centaine d’Afghanes. « La partie plus compliquée du projet a été l’accès à ces femmes. Tout est verrouillé, et c’est dangereux de s’exposer », raconte Kiana Hayeri à XXI.

« Grâce au bouche à oreille, souvent à huis clos », la photographe et la chercheuse ont rencontré des femmes qui bravent les lois. Collaborant avec elles – parfois en décidant ensemble d’une pose, parfois en les faisant dessiner –, Kiana Hayeri produit des photos carrées, discrètes, qui leur redonnent dignité, les sauvent de la tentative d’effacement par les talibans, et les réinscrivent dans l’histoire. C’est une force intime, souterraine, qui trace un chemin pour les autres. « Je souhaite que ce travail serve de document, de témoignage pour la prochaine génération de femmes afghanes. Qui montrera ce qu’on peut faire même quand tout semble impossible. »

école de femmes en plein air
En l’absence de bâtiments scolaires dans le district de Gardi Ghos, les cours ont lieu dehors entre deux routes principales, sous le soleil et sur un sol en terre battue. Alors que les garçons peuvent suivre leur scolarité jusqu’à la douzième année (l’équivalent de la terminale en France), aujourd’hui, les filles ne sont autorisées à étudier que jusqu’à la sixième année – qui correspond à notre classe de 6e – et ne peuvent pas obtenir de certificat d’éducation officiel. Dans certains districts, sur décision locale des autorités, les filles n’ont pas le droit d’aller à l’école au-delà de la troisième année (l’équivalent du CE2). Cependant, des écoles clandestines installées dans des maisons, des mosquées ou des espaces alternatifs continuent d’éduquer les filles. Une prise de risque élevée. (13 février 2024.)
portrait de femme
Samira était journaliste à Ghazni, une province très conservatrice de l’Afghanistan à 150 kilomètres de Kaboul. Dans le téléphone d’un collègue, les agents de la Direction générale du renseignement ont trouvé leur correspondance. Emprisonné et torturé, il lui a fait comprendre depuis sa prison qu’elle devait fuir Ghazni. Elle vit désormais hors de sa province et reçoit régulièrement des menaces des talibans au pouvoir. Tout comme son frère et son compagnon, eux aussi journalistes, qui vivent désormais dans la clandestinité. (28 avril 2024.)
femme debout devant une fenêtre
Muska, 14 ans, est récemment revenue en Afghanistan avec sa famille. Elle allait à l’école au Pakistan, elle sait lire et écrire et est déterminée à poursuivre ses études. À Jalalabad, la situation économique de sa famille ne lui permet cependant pas d’aller à l’école et a contraint ses parents à accepter l’offre de mariage du fils de leur propriétaire. En échange, ce dernier s’est engagé à installer un puits et des panneaux solaires, pour un coût équivalent à quelques centaines d’euros, afin que la famille puisse avoir de l’eau et de l’électricité. (12 février 2024.)
enfants jouant autour d’une flaque d’eau
La famille de Kheshroo joue au pied des montagnes du Wakhan, au Badakhshan. Sa fille et sa nièce, deux lycéennes, se sont suicidées un an plus tôt en se jetant à l’eau après avoir été interdites d’école. Cette province du nord-est de l’Afghanistan n’avait jamais été contrôlée par les talibans avant 2021. (10 mai 2024.)
mannequins à la tête masquée dans un magasin
Les magasins afghans n’ont pas le droit de montrer de visages de femmes, pas même ceux des mannequins féminins dans les vitrines, comme ici à Kaboul. Les commerçants les coupent ou les recouvrent de sacs en plastique ou de scotch. Les visages de femmes sur les publicités, les affiches et autres affichages publics ont également été effacés ou recouverts. (6 février 2024.)
femmes journalistes en Afghanistan
À Kaboul, ces journalistes travaillent dans le bureau d’un média axé sur les femmes. Selon Reporters sans frontières (RSF), depuis la prise de pouvoir des talibans, plus des deux tiers des 12 000 journalistes du pays ont quitté la profession. Obligées de se couvrir le visage et de voyager avec un chaperon, victimes de harcèlement et de menaces, plus de 80 % des femmes journalistes ont cessé de travailler entre août 2021 et août 2023, selon Amnesty International. Sans femmes reporters, il est de plus en plus difficile de rendre compte de la situation des Afghanes, dans une société où les hommes sont rarement autorisés à interviewer des femmes. Les sujets relatifs à leurs droits sont particulièrement sensibles, et la pression exercée sur les médias et les journalistes a fait de l’autocensure la nouvelle règle en matière de reportage. (29 février 2024.)
affiche déchirée avec des photos de femmes voilées
Une affiche déchirée à Fayzabad, dans le Badakhshan. Elle montre comment les femmes sont censées se couvrir le visage : avec une burqa (ou tchadri) grillagée, ou avec un niqab qui ne laisse que les yeux découverts. (11 novembre 2024.)
étudiantes en salle de classe
Cet institut privé dans l’ouest de Kaboul donne aux filles la possibilité de suivre un cursus secondaire en anglais, ayant réussi à obtenir que les talibans locaux ferment les yeux – un cas rare. 700 lycéennes y étudient chaque jour, sous haute surveillance. Les adolescentes entrent et sortent une à une, laissant leur sac à dos à l’entrée, sous le regard de deux gardes. Leur rêve est maintenant de quitter le pays pour poursuivre leurs études à l’étranger. Malgré les promesses des intégristes, les lycées de filles n’ont jamais rouvert. (17 février 2024.)
tatoueuse en plein travail
Halima, 28 ans, tatoue le visage d’une femme sur le bras de Mustafa, 17 ans, dans le salon de sa maison. Après le décret qui a entraîné la fermeture des salons de beauté féminins, de nombreuses femmes ont commencé à travailler à domicile. Halima, mère de trois enfants et veuve, est née en Iran après que sa famille a fui le premier régime taliban. Elle est arrivée en Afghanistan en 2005, sous la présidence d’Hamid Karzai. Quand les intégristes ont trouvé des preuves de son militantisme dans son téléphone, elle a été emprisonnée et battue. Elle a dû payer 650 euros pour sortir. En apprenant l’arrestation de sa femme, son mari a eu une crise cardiaque et est décédé peu après sa libération. Malgré tout, Halima continue de militer. Elle a été arrêtée à nouveau, quelques jours avant cette photo. (18 février 2024.)
jeunes femmes jouant dans la neige
Des jeunes femmes jouent dans la neige derrière un immeuble d’habitation, à l’écart de la route principale. Depuis le changement de régime, les droits des femmes et des filles à se déplacer sans chaperon masculin ou à aller dans les parcs ont été restreints, et il reste très peu d’occasions de trouver de la joie dans leur vie quotidienne. Une tempête de neige dans un quartier tranquille de la banlieue ouest de Kaboul leur a permis de jouer ensemble pendant une heure. Mais il faut toujours garder un œil sur les environs, au cas où une patrouille de talibans surgirait. (3 février 2024.)
trois adolescentes aux longs cheveux
Un groupe d’adolescentes se préparent à célébrer l’anniversaire d’une amie chez elle, à Kaboul. La musique et la danse ont été interdites par les talibans, mais les femmes continuent de faire la fête dans l’intimité de leur maison et derrière les portes closes. (2 février 2024.)