« Touche pas à mon platane »

Écrit par Catherine de Coppet Illustré par Léa Taillefert
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« Touche pas à mon platane »
Marie-Claude n’aime pas se mettre en avant, mais il ne faut pas la bousculer beaucoup pour qu’elle raconte l’histoire de « Platane », cet arbre qui l’impressionne depuis quarante ans. Elle l’a même couché sur son testament.
Paru en juin 2023
Article à retrouver dans cette revue

« En 1983, mes parents, qui habitaient déjà la région, cherchaient à déménager. C’était l’hiver, il neigeait, ma mère et moi nous sommes retrouvées dans ce village de Meurthe-et-Moselle avec l’agent immobilier, face à une maison impressionnante. Derrière, un terrain herbeux de 5 000 mètres carrés, dominé par un platane monumental. Nous avons dû revenir aux beaux jours avant l’installation, car je revois l’arbre couvert de feuilles, et moi en dessous. Il était immense, infini, c’était comme s’il y avait la mer ! Je n’en avais jamais vu des comme ça, on se demandait ce qu’il faisait là. J’ai pourtant grandi à la campagne.

Depuis la mort de ma mère il y a presque vingt ans, je vis ici, dans cette maison. Il y a quelques années, on sonne à ma porte. Encore un casse-pied ! Il y a tellement de démarchage pour une taille par-ci, un démoussage de toit par-là. Le tout jeune homme qui se présente devant moi se dit élagueur, m’explique qu’il est tombé en admiration devant mon platane, et me demande la permission d’y grimper. Le voisinage m’avait rapporté qu’un jeune tournait régulièrement au bout de mon jardin. J’ai accepté à deux conditions : qu’il me prouve qu’il était assuré, et qu’il défende le platane avec moi.

Défendre, c’est bien le mot. « On en fera de beaux stères de bois ! », ai-je souvent entendu dire à propos du platane. Avec un autre arbre, je n’aurais pas fait tant d’histoires. J’aime bien la nature, mais les espèces végétales ne me passionnent pas. Or celui-ci a environ 250 ans, il est encore debout, il mérite le respect ! Pour moi, il est comme un animal, un chat. Je me suis dit : « Si je peux l’aider, je le ferai. »

Une première en France

Rémi, le jeune élagueur, est revenu avec ses diplômes, son attestation d’assurance… et une solution : il connaissait un notaire qui était prêt à inscrire la protection de « Platane » – je l’appelle comme ça depuis – sur mon testament. Il avait tenu sa promesse, j’ai donc tenu parole. Rémi, harnaché comme un alpiniste, a passé la journée dans la canopée – on aurait dit Le Baron perché d’Italo Calvino. Une telle passion des arbres m’a inspiré confiance, et j’ai sauté le pas. J’ai 74 ans, je n’ai ni frère, ni sœur, ni enfant. Mais dorénavant, la personne qui héritera de ma maison aura interdiction d’abattre Platane, sous peine d’amende, c’est écrit noir sur blanc.

J’ai beaucoup correspondu par la suite avec Me Benoît Hartenstein, on est assez fiers de ce qu’on a accompli, car cette clause testamentaire est une première en France ! Cet arbre est plein de vie. Beaucoup d’oiseaux viennent nicher dans ses branches, et j’y aperçois souvent des écureuils. Il n’abrite pas moins de quatre ruches et une cache de chouette, m’a dit Rémi, qui m’aide désormais à l’entretenir. Entouré de haies, il fait bon ménage avec le lierre qui s’agrippe à son tronc : ça le protège de la sécheresse, paraît-il. Après l’écriture de mon testament, je me suis sentie libérée : Platane, lui, pourra s’en sortir ! »

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