En quête de nature en kit

Photos par Zed Nelson Un récit photo de Martina Bacigalupo
23 avril 2025
En quête de nature en kit
Lions semi-domestiques qu’on promène comme des chiens, zoos aux murs peints façon jungle, fausse forêt tropicale près de Berlin… Autant de paradis factices pour simuler des paradis détruits. Avec sa série « L’illusion de l’Anthropocène », le photographe Zed Nelson explore ces façons qu’ont les humains, à travers le monde, de « faire l’expérience de la nature » tout en s’en éloignant le plus possible.
Lions semi-domestiques qu’on promène comme des chiens, zoos aux murs peints façon jungle, fausse forêt tropicale près de Berlin… Autant de paradis factices pour simuler des paradis détruits. Avec sa série « L’illusion de l’Anthropocène », le photographe Zed Nelson explore ces façons qu’ont les humains, à travers le monde, de « faire l’expérience de la nature » tout en s’en éloignant le plus possible.

Il y a dix ans, Zed Nelson se retrouve devant un phoque barbu allongé sur des rochers en fibre de verre décorés de fausse glace, éclairé par une lumière artificielle. C’était à Polaria, parc d’« expérience arctique » et aquarium situés dans l’extrême nord de la Norvège. « Je me suis demandé pourquoi nous venons observer un phoque, dans ces conditions, alors qu’on est à quelques mètres seulement de son habitat naturel, raconte le photographe anglais. Cette scène m’a hanté pendant des mois. »

À partir de ce jour, l’artiste, coutumier des projets de long terme, commence à s’intéresser aux lieux dans lesquels les humains s’immergent pour « faire l’expérience de la nature ». Pendant des années, il repère les sites représentatifs aux quatre coins du monde, lit tout ce qui existe sur le sujet, collecte des centaines de photos disponibles sur Internet. Puis, avec plus de 2 000 pages de notes sur son ordinateur, il part sur le terrain.

L’hôtel aux pingouins

Du petit déjeuner avec les manchots du Chimelong Penguin Hotel, en Chine, aux vacances dans une immense forêt tropicale intérieure à côté de Berlin, en passant par les pistes artificielles de ski de Dubaï et une version Disney de l’Afrique en Californie, Zed Nelson nous interroge sur notre « consommation » de la nature. « D’un côté, nous dévastons le monde naturel, et de l’autre nous avons envie de nous rattacher à sa version artificielle. Il y a quelque chose de contradictoire dans ce que nous faisons, une déconnexion psychologique qui peut être décrite comme une dissonance cognitive. »

L’être humain du XXIe siècle a besoin de tisser une relation avec la nature, mais il en veut une version aseptisée, facile d’accès, propre, à consommer sans effort et sans risque. « Dans les parcs nationaux, comme à Yosemite aux États-Unis, nous faisons l’expérience d’une nature “sauvage” dans un environnement contrôlé et scénographié. Puis nous retournons au travail et continuons à détruire la planète. » Et de citer les iconiques tours végétalisées de Singapour, symbole de l’urbanisme « vert » entretenu à coup de pesticides, qui cachent la destruction systématique de la nature autour de la ville.

En Italie, des chantiers infinis
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Routes qui ne mènent nulle part, centres commerciaux fantomatiques… Roberto Giandrande montre une Italie ponctuée d’ouvrages jamais finis.

Une auto-illusion collective

Même absurdité en Afrique du Sud, où les touristes payent pour caresser et nourrir de petits lions d’élevage, qui finissent souvent vendus à des chasseurs de trophées occidentaux. « Venant pour moitié des États-Unis, ils payent en moyenne 16 000 dollars pour chasser les lions dans une zone clôturée d’où ils ne peuvent s’échapper. »

Depuis six ans, dans plus d’une douzaine de pays, Zed Nelson photographie la mise en scène de la nature dont nous sommes devenus les maîtres, ces « monuments factices à ce que nous avons perdu ». En prenant de la distance, en incluant les hors-champs et en révélant ainsi l’artifice, sa série baptisée L’illusion de l’Anthropocène est faite d’images non spectaculaires, non « consommables » facilement. Pour mieux méditer le phénomène global de déconnexion de la nature et d’auto-illusion collective.

restaurant avec vue sur les pingouins
Au Chimelong Penguin Hotel de Zhuhai, ici en 2017, les visiteurs peuvent dîner avec des manchots en captivité dans un restaurant de 1 600 places, décoré sur le thème des glaciers. L’hôtel chinois propose également des rencontres avec ces mêmes oiseaux au « pavillon des pingouins », et un spectacle au « théâtre du palais des glaces ». 70 % des colonies de manchots empereurs sauvages, qui ont vécu pendant des millions d’années, pourraient disparaître d’ici 2050 en raison du changement climatique.
promenade avec des lions domestiqués
Une « balade avec des lions » à Ukutula, près de Johannesburg, en 2023. Il existe environ 300 fermes d’élevage de lions en Afrique du Sud, abritant jusqu’à 12 000 individus. Ces installations commerciales vendent souvent aux touristes la possibilité de caresser et nourrir des lionceaux, et de se promener avec de jeunes lions nourris au biberon depuis leur naissance.
transats sur une plage artificielle
Le centre de vacances Tropical Islands de Krausnick, près de Berlin, ici en 2017. Il se trouve à l’intérieur d’un dôme plus haut que la statue de la Liberté et dispose d’une plage de sable, d’une serre à papillons et de la plus grande forêt tropicale intérieure d’Europe, d’une superficie de 10 000 m2.
tours végétalisées
Le parking de l’hôtel Parkroyal Collection Pickering, à Singapour, en 2022. L’initiative « Garden City » de la cité-État a été lancée dans les années 1960, parallèlement à l’urbanisation rapide, pour incorporer la nature au nouveau paysage de la ville. Si celle-ci est reconnue pour sa propreté et sa verdure, ces ambitieux efforts de verdissement ont un coût caché. Pour maintenir une image immaculée, le gouvernement et les urbanistes ont recours à des pulvérisations de pesticides à une échelle industrielle. Les produits chimiques utilisés empoisonnent également les espèces non ciblées, notamment les abeilles, les papillons et les oiseaux.
petite fille escaladant une fausse montagne
Inauguré en 1970 à Rimini, l’« Italie en miniature » est un parc à thème de 85 000 m2, qui reproduit les différentes régions du pays. Ici, en 2018, la réplique de la région montagneuse des Dolomites. Connu pour ses 5 000 arbres miniatures, le parc accueille 500 000 visiteurs par an.
ours polaire devant un mur peint
Un ours polaire dans le zoo forestier de Dalian, en Chine, en 2017. L’ours blanc est le plus grand carnivore terrestre du monde, pesant jusqu’à 800 kg et mesurant jusqu’à trois mètres. L’enclos typique d’un zoo représente un millionième de son espace de vie à l’état sauvage.
pique-nique avec un guerrier traditionnel masaï
Les parcs nationaux et les réserves du Kenya offrent aux touristes la possibilité de voir des animaux sauvages dans ce qu’il reste de leur habitat naturel. Ici, dans le Masai Mara, en 2023, les visiteurs rejouent la scène du pique-nique romantique du film Out of Africa de Sydney Pollack (1985). Des membres de l’ethnie masaï sont recrutés pour donner de l’« authenticité » à l’expérience.
un chimpanzé devant un mur peint
Les peintures murales naturalistes sont devenues monnaie courante dans les zoos du monde entier, afin de donner aux visiteurs l’impression que les animaux vivent dans leur habitat naturel. Ici, un chimpanzé dans le parc animalier de Shanghai, en Chine, en 2017.