J’ai passé quinze ans à photographier les frontières de l’énergie, depuis les plateformes pétrolières russes en Arctique jusqu’aux parcs éoliens en mer du Nord. Lorsque la Russie a envahi l’Ukraine en 2022, la quête d’indépendance énergétique en Europe m’a conduit vers l’hydrogène. Ce gaz invisible, longtemps disqualifié comme possible carburant de demain, est soudainement devenu incontournable.
J’ai rencontré Thierry Lepercq pour la première fois à l’aéroport de Charles-de-Gaulle. Il m’avait invité à le rejoindre pour son séjour d’affaires en Mauritanie, un pays qu’il n’avait jamais visité. Il portait un petit sac à dos. Je lui ai demandé ce qu’il y avait dedans. « Deux chemises et une proposition de 100 milliards d’euros », m’a-t-il répondu.
Nous avons atterri dans l’obscurité. Le Premier ministre venait de démissionner et, de l’autre côté de la frontière, des mercenaires avaient tué 300 civils. Par le hublot, je ne discernais que du sable et des chameaux. Mais Thierry Lepercq savait une chose : ce pays désertique, bien qu’il se situe dans l’une des régions les plus instables de la planète, veut devenir l’Arabie Saoudite de l’hydrogène vert. Le matin suivant, en ouvrant les rideaux de sa chambre d’hôtel, il souriait face à la lumière éclatante du soleil. Des conditions parfaites pour ses projets, qui reposent sur l’énergie solaire.
Dans le Sahara, j’ai campé en tête à tête avec mon guide près des voies ferrées, armé seulement d’un drone, de bidons d’eau et de couvertures. Pas de tente – je ne voulais pas m’encombrer lors des prises de vue du géant que je traquais : un train de minerai de fer long de trois kilomètres serpentant à travers le désert.
L’oreille collée aux rails
Les deux premières nuits ont été des échecs. Le grondement me réveillait à 3 heures du matin, mais l’obscurité engloutissait toute chance de prendre une photo. Le troisième jour, nous avons collé nos oreilles aux rails et l’avons senti arriver. J’ai lancé mon drone au moment où le train est apparu à l’horizon, ses 300 wagons se matérialisant à travers la brume du désert.
Le drone inquiétait mon guide – nous nous trouvions dans une zone contrôlée par al-Qaïda, à cheval entre le Sahara occidental et le Maroc, sans permis. J’ai eu ma photo, et nous avons disparu aussi rapidement dans le Sahara que nous y étions arrivés.
Au fil des semaines, j’ai suivi Thierry Lepercq entre la Mauritanie et l’Espagne, tandis qu’il présentait sa vision aux chefs d’entreprise et aux leaders politiques. Efficace, réservant lui-même ses hôtels, il voyageait léger, toujours joyeux et discret. Mais dans les salles de réunion, il était capable de convaincre des pdg, déterminé à miser sur le soleil du désert et à redessiner la carte énergétique.