Dès le début de notre enquête, un paradoxe est apparu. L’esport se donne des airs de maison grand ouverte. On peut pénétrer dans la vie quotidienne des équipes par la fenêtre des lives Twitch, des compétitions et des vlogs. Pourtant, quand il s’agit de répondre aux journalistes, le secteur se fait beaucoup plus timide, voire mutique. Ceux dont le modèle économique repose sur la transparence du streaming contrôlent plus sévèrement leur image que bien des chefs d’entreprise traditionnels.
Réflexion faite, le paradoxe n’en est pas un : l’image publique est le nerf de la guerre des créateurs de contenus. Elle fait donc l’objet d’une attention minutieuse. En tant que journalistes, aborder un club d’esport est aussi un exercice d’humilité. La force de frappe médiatique de la Karmine Corp est telle que le club n’a besoin de personne pour s’adresser au grand public. Pourquoi prendre la peine de répondre à des questions quand on est soi-même un média ? Les influenceurs ne s’expriment que quand cela les arrange, jonglent avec les règles du on et du off aussi habilement que des professionnels de la politique. D’ailleurs, les médias traditionnels qui écrivent à leur sujet se cantonnent aux portraits et articles élogieux. Bref, ce petit milieu en pleine croissance nous a fait l’effet d’une citadelle paranoïaque.
Ce qui est clair, c’est que la génération Internet est sur le pont. Ses patrons ont moins de 30 ans, ils pèsent des millions d’euros et signent des contrats pluriannuels avec les plus grandes entreprises. En dehors de l’establishment économique et médiatique, Kameto et Prime ont fait émerger un petit empire du divertissement.
Méthodiquement, nous avons donc rencontré les acteurs de l’esport pour les faire parler de ce qu’il se passe quand les webcams s’éteignent. Et nous avons découvert que, derrière les récits enjoués d’une bande de copains, se cachent bien des secrets. Comme les entreprises traditionnelles avant elles, ces nouvelles sociétés découvrent, avec les millions d’euros de chiffres d’affaires, leur cortège de convoitises, de batailles d’actionnaires, de lettres d’avocat et de mises en demeure.