Tout commence pendant l’été 2022, avec une note anonyme envoyée par une source. Son auteur assure que le contexte de crise de l’énergie provoque l’euphorie chez les fournisseurs alternatifs. Il parle un langage incompréhensible, fait de TRV (tarifs réglementés de vente) et d’Arenh (accès régulé à l’énergie nucléaire historique). Difficile de s’y repérer mais, à première vue, ce n’est ni une escroquerie ni du détournement de fonds. Il s’agit plutôt d’un effet d’aubaine suscité par une situation exceptionnelle. Puisqu’il n’y a rien d’illégal, pourquoi creuser ? « Justement, c’est bien parce que c’est légal que c’est un scandale ! plaide ce contact, visiblement partie prenante. Le préjudice pour EDF va dépasser le milliard d’euros, et chaque centime d’argent public perdu est encaissé par un acteur privé. »
Il y a donc un loup. Mais le principe est tellement simple et visible, à entendre notre initié, que l’intérêt d’une enquête journalistique n’est pas évident. Contrairement à l’arnaque à la taxe carbone – le détournement de la TVA sur le marché des quotas de CO2 –, ici ce sont les règles du marché qui sont en cause. Parce que, par principe – elles sont nées de l’ouverture à la concurrence –, elles ne sont jamais en faveur d’EDF. Et ce, au moment même où le gouvernement annonce vouloir récupérer 100 % du capital de l’entreprise publique… « Il y a un mensonge chez ces entreprises qui n’assument pas d’être des profiteurs de crise. Si vous documentez leur intention de bénéficier du système au détriment de l’argent public, et sans aucune valeur ajoutée, ce serait un pavé dans la mare. » C’est ainsi que notre enquête a débuté.
Une communication tapageuse
Travailler sur le sujet n’a rien d’une épopée dans une lointaine contrée : l’enquête passe par de longues visioconférences à se faire expliquer d’obscurs mécanismes, la lecture de centaines de pages de travaux financiers et de rapports des institutions de contrôle. Très vite, à la faveur de documents irréfutables et inédits, le profil d’Ohm Énergie se distingue des autres entreprises profiteuses de crise. Son fondateur est un ancien trader d’EDF ; et il a notamment recruté d’anciens cadres de la Commission de régulation de l’énergie (CRE) et du médiateur de l’énergie. Surtout, l’entreprise déploie une communication tapageuse.
À partir de septembre 2023, XXI s’associe à Complément d’enquête qui a eu accès à d’autres documents. Ces derniers, endommagés, seront restaurés grâce à l’émission d’investigation de France 2. Avec ce précieux soutien ainsi que des témoignages clés récupérés par notre partenaire, nous avons pu obtenir suffisamment d’éléments pour démonter le système.
Prévenu de la publication prochaine de l’enquête, notre initié se réjouit, mais observe déjà le prochain coup des fournisseurs alternatifs qui cherchent désormais à faire revenir les clients. « Je vois passer des pubs sponsorisées : ils proposent maintenant des offres aux alentours de –15 % par rapport au tarif réglementé, s’inquiète-t-il. Il y a un an, à la même période, aucun ne proposait ces offres. »