« Comme des lettres dans des bouteilles jetées à la mer »

Écrit par Nicolas Gastineau Photos par Mohamed Mahdy

Enfant, pour se rendre dans le centre-ville d’Alexandrie depuis sa banlieue, Mohamed Mahdy devait traverser El-Max. Il a appris à connaître ce petit quartier de pêcheurs organisé autour du fin canal de Mahmoudiya, situé au seuil occidental de la deuxième ville la plus peuplée d’Égypte. Séduit par « le charme des couleurs », entre maisons rouges et bateaux turquoise, le photographe en herbe y revenait souvent pour apprendre à utiliser son appareil photo. 

En 2016, il a vingt ans lorsqu’il entend parler de la destruction annoncée de l’essentiel des maisons historiques d’El-Max. Il décide alors de photographier tout ce qu’il peut : les gens, les maisons, leurs histoires, « afin de documenter ce qui s’apprêtait à disparaître ». Qu’est-ce que cela faisait à ces visages familiers, s’est demandé le photographe alexandrin quatre années durant, d’attendre que des bulldozers viennent rouler sur les souvenirs, leur foyer et leur identité de pêcheurs ? 

Donner la parole aux habitants

Progressivement, son projet a été de donner la parole aux habitants en leur demandant d’écrire une lettre d’adieu à El-Max, « à la façon, relate Mohamed Mahdy, des mythiques bouteilles à la mer que jetaient les marins dans l’espoir que quelqu’un les retrouve. »

La bouteille a pris la forme d’un site internet interactif où les prises de vue du photographe se mêlent à des archives et des lectures à haute voix des lettres des habitants. C’est la complainte d’une femme d’El-Max relogée par l’État dans un appartement impersonnel, « Here, Doors Don’t Know Me » (« Ici, les portes ne me reconnaissent pas »), qui lui a inspiré le titre de son récit. Cette narration multimédia a valu au projet le prix Open Format du célèbre World Press Photo 2023 et a suscité, en retour, un élan de compassion internationale. « Nous avons reçu des milliers de lettres de personnes, à travers le monde, s’émeut le photographe, ce qui prouve qu’au fond, le drame des habitants d’El-Max nous renvoie tous au même besoin, à la fois simple et universel : avoir un foyer. »

À écouter

Martin Dumas Primbault, journaliste de l’article « Pour tout l’or du canal » parle de la destruction d’El-Max dans le podcast Le reportage d’un jour dans le monde sur France Inter.

Pour aller plus loin

Poste restante au canal
Plongée dans la correspondance des habitants d’El-Max à leur quartier en partie détruit sur demande de l’État égyptien en 2020.
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