Tout a commencé par une vidéo des plus banales sur Twitter. David Bizet, influenceur bien connu des journalistes français installés en Turquie, se prend en selfie devant une résidence flambant neuve, de celles dont foisonne la côte turque. Après une rapide visite guidée, il invite tous les musulmans malheureux en France à le rejoindre, et affirme que l’immeuble leur est réservé.
Ma curiosité de journaliste française indépendante, installée à Istanbul depuis deux ans, est piquée. Quelques jours plus tard, un rendez-vous est fixé avec le concepteur, un certain Mourad Ghazli. Je lui demande si je peux venir visiter, il accepte avec une étrange facilité.
Sur place, je comprends vite pourquoi : l’homme dispose d’un bagout d’enfer, il est rodé à l’exercice médiatique. Pour creuser, tout s’avère toutefois plus compliqué. Les Français que je croise me répètent ô combien ils sont écœurés par le traitement médiatique des questions liées à l’islam et refusent de parler à une journaliste française. D’autres sont en cours de procédure pour obtenir leurs papiers turcs et craignent que la médiatisation de leur histoire ne complique davantage leur errance administrative. Par bouche-à-oreille, j'apprends également les craintes de certains : que mon article ait pour but de « critiquer la Turquie », voire pire, son chef, Recep Tayyip Erdogan.
Composer avec les menaces
Il faut donc passer plusieurs jours sur place, accepter de patienter des heures – parfois des jours –, revenir quelques mois plus tard, apprendre à composer avec les menaces – « si tu déformes des propos, je te jure, je vais te faire un “thread” assassin sur Twitter » –, retranscrire des pages d’interviews pour finalement les chiffonner, car un message WhatsApp annonce : « Après réflexion, je ne souhaite plus apparaître dans l’article. »
C’est finalement une jeune femme, rencontrée un soir dans un restaurant, qui sera ma clé d’entrée dans les résidences. Nous discutons longuement de son expérience de femme voilée en France, de ses aspirations en Turquie… Elle propose de me faire visiter son nouvel appartement, et m’invite au bord de la piscine pour femmes. J’enfile mon maillot de bain et reste là quelques heures. C’est dans cette intimité, entre femmes, que certaines ont accepté de se raconter.