On a coutume de s’intéresser à l’eau quand elle manque. Les épisodes récurrents de sécheresse estivale ont accentué cette tendance. Partir en reportage entre automne et hiver pour parler de l’eau, voilà une idée qui me plaisait. Ayant souvent écrit sur les questions scientifiques, c’est en cherchant à en savoir plus sur un programme de sciences participatives de l’Inrae (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement) au sujet des rivières intermittentes que l’idée du reportage s’est forgée.
Je ne connaissais pas ce phénomène d’intermittence naturelle, et je me suis reconnue dans les études sur les perceptions négatives souvent associées à un cours d’eau… sans eau. Très vite, je me suis rendu compte que la rivière Albarine était l’épicentre de recherches scientifiques poussées et inédites, mais aussi qu’elle draguait dans son sillage une palette de protagonistes souhaitant la protéger et s’inquiétant pour son avenir. Trop sec. Ou trop débordant…
Lors de mon passage en décembre 2023, le niveau de la rivière assez haut nourrissait la crainte des habitants quant à une possible crue. Ici, les gens vivent en permanence avec cette menace, qui s’accentue avec l’irrégularité extrême des épisodes pluvieux causée par le réchauffement climatique. « On a frôlé la catastrophe cet hiver, le niveau était très haut », m’a raconté le chercheur Thibault Datry.
Tout Tenay en zone inondable
Pendant mon séjour, j’ai d’ailleurs assisté à un exercice de simulation de crise animé par la préfecture, pour préparer les collectivités à d’éventuelles inondations. C’était à Tenay, petit village d’un millier d’âmes au bord de l’Albarine, qui accueille encore une usine de présentoirs en plastique ou en métal. Ce « jeu de risques » a été organisé sur demande du maire, Gaël Allain, et impliquait tous les conseillers municipaux ainsi que le personnel de mairie. « Je n’ai pas vraiment d’autre choix que d’anticiper. Tout le centre-bourg, et en particulier la mairie, est en zone inondable », m’a-t-il confié. Pendant quatre heures, tous ont joué le jeu, appliqués, leur mine inquiète démontrant le sérieux investi dans l’exercice.
Le long de la rivière, tout le monde ou presque a une histoire d’eau à raconter. Comme la propriétaire du gîte où j’ai logé quelques nuits, une vieille bâtisse de maître en bord de voie ferrée, qui avait été la maison de campagne de son enfance. Elle n’est pas près d’oublier cette nuit où, en allant ranger quelque chose à la cave, elle s’est retrouvée les pieds dans l’eau. De l’autre côté de la porte, un jaillissement dans le mur du fond – une source ! Celle-ci, ancrée plus haut dans la colline qui surplombe la maison, s’était soudain réveillée. Il a fallu réaliser d’importants travaux pour que son tracé évite l’habitation. « Des sources, il y en a plein dans le coteau, juste au-dessus. Ici, on vit avec l’eau. »