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« On m’a demandé pourquoi je n’étais pas en train de manifester sur la place Rouge »

Écrit par Anaïs Renevier
La photographe Ksenia Ivanova se rend régulièrement en Abkhazie depuis 2019. Elle y a rencontré une population méfiante, marquée par de nombreux traumatismes.

La photographe russe Ksenia Ivanova a littéralement gagné la confiance des familles d’Akarmara à la sueur de son front : elle a disputé de nombreux matchs de football avec les enfants et adolescents du coin avant qu’ils acceptent de s’ouvrir à elle. « J’étais gardienne de but », se souvient celle qui a voyagé pour la première fois en Abkhazie en 2019 lors d’une mission pour le magazine d’une association caritative. Elle découvre une population méfiante – marquée par les traumatismes des conflits et des conditions de vie difficiles –, et décide de passer du temps avec eux. Pendant cinq ans, elle retourne plusieurs fois par an dans les villages des environs.

Lors de ses séjours, la photographe loge chez certaines familles (notamment dans l’immeuble ci-dessous).Elle est immergée dans la nature, omniprésente ; les enfants du coin lui apprennent le nom des plantes. Ksenia Ivanova se remémore alors les récits de sa grand-mère, qui randonnait souvent en Abkhazie dans sa jeunesse. Ses descriptions d’une nature paradisiaque ont influencé le langage visuel de cette série photo.

« Des conflits mal compris »

La photographe russe veut documenter le quotidien des Abkhazes. Un travail qui soulève des questions géopolitiques : « La plupart des conflits impliquant la Russie après l’effondrement de l’Union soviétique sont soit mal compris soit oubliés. » Ksenia Ivanova questionne aussi les « l’impérialisme » de son pays natal : « Le Caucase du Sud a beaucoup souffert des ambitions agressives de l’URSS, et ça a continué après son effondrement. La Russie a toujours des intérêts dans la région. » L’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022 n’a fait que conforter la photographe dans son projet : « Dans la région de Donetsk, ça a commencé comme ça : la Russie a reconnu ces territoires comme indépendants, avant de les envahir. »

Comment cette citoyenne russe est-elle accueillie, côté géorgien ? Elle doit généralement s’expliquer sur son projet, « car, automatiquement, mes interlocuteurs s’imaginent que, parce que je suis Russe, je suis pro-Poutine ». Quelques semaines après l’invasion de l’Ukraine, deux femmes géorgiennes à Tbilissi lui ont crié dessus, lui demandant pourquoi elle n’était pas en train de manifester sur la place Rouge : « Je leur ai expliqué que j’avais pris des photos des manifestations à Saint-Pétersbourg quelques jours auparavant. » Elles ont fini par partager un café ensemble. Aujourd’hui, Ksenia Ivanova continue de documenter la région et les manifestations liées à la crise politique que traverse la Géorgie.

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