En coulisses

« Les graines soulèvent des questions politiques et philosophiques »

Écrit par Camille Drouet Chades

Pour Thierry Ardouin, l’odyssée de la graine commence en 2009. Alors qu’il travaille sur la paysannerie française, le photographe découvre, « très intrigué », l’existence du Catalogue officiel des espèces et variétés de plantes cultivées en France. À la même époque, « Nicolas Sarkozy et son ministre de l’Intérieur, Brice Hortefeux, multiplient les déclarations sur les sans-papiers : une analogie se crée dans ma tête, explique le cofondateur de l’agence Tendance Floue. D’un côté, il y a les graines légales, juste parce qu’elles sont répertoriées sur une liste. Et de l’autre, les illégales. Ça n’a pas de sens. » Sont-elles différentes ? Pour le savoir, il décide de se rapprocher d’elles à l’aide d’un macroscope sur lequel il branche un boîtier d’appareil photo. Carottes, radis, céréales… Thierry Ardouin part comparer des graines de l’association Kokopelli – qui s’oppose à la réglementation des semences – et du Geves, l’organisme de certification pour le catalogue.

« La première, c’était un haricot. J’étais avec le conservateur des jardins de Kokopelli. » Lorsque l’image s’est affichée sur l’écran, l’ancien porte-parole de la Confédération paysanne, une pointure de la graine, est resté interdit avant de lâcher : « Je vois la graine pour la première fois. » Une trentaine d’espèces passent sous son objectif. Invisibles à l’œil nu, des différences émergent en très gros plan. « Une graine qui n’est pas hybridée a des ailettes ou des petits crochets. Alors que la graine de culture est lisse, colorée par les produits chimiques. »

Les codes classiques du portrait

Au fil des mois et des rencontres, le photographe apprend que sous leurs airs figés, les graines sont mobiles. Leur voyage devient son fil rouge poétique, et va le mener, lui, au Muséum d’histoire naturelle de Paris qui conserve plus de 25 000 variétés. Les grands tiroirs plats de ses vieux meubles en bois regorgent de trésors : de petits sachets de graines, souvent très anciennes, dont les noms sont écrits à la plume. « J’en ai ouvert un qui datait de 1895, du poivre de Malabar, dont l’odeur a envahi la pièce. »

D’autres, notamment celles susceptibles de germer, sont conservées dans des réfrigérateurs ou semées non loin, au Jardin des plantes. Avec l’aide des botanistes du musée qui lui sélectionnent des spécimens selon leur provenance, leur stratégie de dissémination, mais aussi leur côté esthétique. Éclairage, cadrage vertical : le photographe joue ensuite avec les codes classiques du portrait pour faire ressortir la singularité de chaque graine. « Je ne m’attendais pas à ce que ce soit si beau. » De 2018 à 2019, Thierry Ardouin photographie environ 700 graines supplémentaires.

Le but n’est pas de réaliser une encyclopédie, « ma vie n’y suffirait pas », s’amuse-t-il. « Les graines soulèvent des questions politiques et philosophiques, sur la diversité, la nature et l’humilité que l’on doit avoir face à elle. L’homme pense qu’il peut la dominer. Mais il se met en danger. En montrant la beauté de la graine, j’espère amener à un peu plus de respect du vivant. »

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