« Leurs innovations ont un impact considérable sur nos vies »

Écrit par Camille Drouet Chades

Sur l’écran de l’ordinateur de Laura Morton, il n’y a qu’un Post-it. L’encre a pâli mais on devine encore le conseil que la photographe américaine s’est laissé à elle-même, il y a dix ans : « Vois-toi comme une anthropologue ». En 2014, quand elle note ces quelques mots, Laura Morton n’a pas 30 ans, elle vient de recevoir une bourse de la Fondation Magnum pour se consacrer pleinement à sa série Wild West Tech, consacrée aux jeunes entrepreneurs qui affluent vers la Silicon Valley dans l’espoir de devenir riches. « C’était la première fois que je pouvais refuser des commandes pour me consacrer à ce projet au long cours qui mûrissait depuis 2006. » Cette année-là, après avoir obtenu son diplôme en journalisme à l’université de son Maryland natal, elle a traversé les États-Unis, direction San Francisco. Un aller simple.

« Des copains de la fac avaient été engagés chez Facebook ou LinkedIn. Je gravitais dans leur monde de créateurs de startups. Un jour, l’un d’eux a gagné 7 millions de dollars en une nuit. Moi, j’étais fauchée, je mangeais à la cantine gratuite de Google où travaillait une amie. Je découvrais un monde incroyable. » La Silicon Valley bouillonnait alors de l’essor des applications pour téléphone portable. Et la photojournaliste a l’impression que les médias ne s’intéressent pas à « cette fascinante culture émergente ».

« Saisir l’esprit pionnier »

« On imagine souvent, à tort, que la Silicon Valley est peuplée de programmateurs geek et d’intellos coincés sans vie sociale. Il est vrai que les personnes qui y travaillent sont souvent brillantes, mais elles sont aussi très créatives et originales. J’aime les photographier au début de leur projet, avant que leur entreprise devienne potentiellement un géant de l’industrie technologique. C’est un moment où ils font preuve d’une inventivité incroyable : c’est cet esprit pionnier que j’essaye de saisir. » Mais « photographier des informaticiens devant leurs écrans n’est pas forcément passionnant : il faut trouver un langage, être patiente. Observer sans être vue, se faire oublier – comme une anthropologue – pour capter un moment différent, décalé, où quelque chose se passe. »

Au fil des années, même si l’écart d’âge se creuse avec les protagonistes de ses images, les accès sont plus faciles à obtenir : « Les gens me connaissent. Et, moi, je connais mon sujet. Je sais aussi contourner la défiance qui peut exister envers les médias. » Laura Morton doit parfois ruser, comme cette fois où elle débarque sur ses rollers, habillée en fluo, à un hackathon interdit à la presse, « pour ne pas avoir l’air d’une journaliste ».

Après la publication des premières photos prises grâce à la bourse de la fondation Magnum, Laura Morton reçoit des commandes de la presse mondiale qui lui permettent d’alimenter sa série. En 2022, elle décroche une nouvelle bourse du festival Visa pour l’image, en France, « pile au moment où ChatGPT est lancé ». Le timing est parfait : elle se concentre sur « les individus derrière le développement de l’intelligence artificielle ». Des photos « pour l’histoire », dit-elle. « Alors oui, je ne suis pas sur des terrains de guerre. Certaines de ces images ne sont pas visuellement très excitantes. D’autres sont drôles. Mais même si elles peuvent prêter à sourire, elles traitent d’un sujet terriblement sérieux. Ces innovations ont un impact considérable sur nos vies. Je braque mon objectif sur celles et ceux qui les font. »

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