Comme de nombreux journalistes intéressés par l'Afrique – je travaille pour Africa Intelligence –, j’ai été tenu en haleine par les premiers pas au pouvoir de Mamadi Doumbouya. Tandis que la junte en place au Mali voisin commençait tout juste à dénoncer la présence française sur son sol, suscitant au passage un certain engouement au sein de sa population, la question se posait de savoir si le nouveau président guinéen allait emprunter le même chemin. Plus de deux ans après le coup d’État du 5 septembre 2021, force est de constater qu’il n’en est rien.
Alors que, depuis, des régimes antifrançais ont fait leur apparition au Burkina Faso puis au Niger, Mamadi Doumbouya plaide à l’inverse pour un renforcement de sa coopération avec Paris. En tentant de comprendre les raisons de cette posture, j'ai été frappé de découvrir l’étendue de ses liens avec la France. Le président guinéen y a vécu à de multiples reprises, d'abord dans le sud en tant que volontaire au sein de la Légion étrangère, ensuite à Paris comme stagiaire à l'École de guerre. Il y a aussi rencontré son épouse, Laurianne, une gendarme originaire de la Drôme avec qui il a eu cinq enfants dont plusieurs sont actuellement scolarisés à Grenoble.
Plusieurs proches du chef d’État m’ont raconté à quel point ces expériences l'ont marqué. Ils ont également pu mettre en lumière la complexité de cette relation : si Mamadi Doumbouya conserve un indéniable attachement à la France, il n'en reste pas moins critique quant à son bilan en matière de politique africaine. Dans un climat tendu lié à la hausse du sentiment antifrançais en Afrique, il tient aussi à ce que ce rapprochement s'opère le plus discrètement possible.
Policiers pressants
Réaliser son portrait n'a pas été chose aisée. Depuis son accession à la tête de l'État guinéen, le président, qui entretient un rapport difficile avec la presse, n’a accordé qu’une seule interview à la presse internationale. J’ai tenté d’obtenir un entretien avec lui en passant par différents canaux, mais mes demandes sont restées lettre morte. Deux séjours à Conakry – en février 2023 et février 2024 – m’ont néanmoins permis de m’entretenir avec certains de ses proches conseillers et de ses ministres, la plupart acceptant de se prêter à l’exercice sous couvert d’anonymat.
La situation s’est énormément tendue entre mes deux visites. Le maillage sécuritaire de la capitale s’est ainsi considérablement densifié. Alors que je tentais de prendre en photo certaines affiches faisant la promotion du président, des policiers m’ont aussitôt ordonné d'arrêter. Une fois la nuit tombée, j’ai été fouillé à plusieurs reprises à des checkpoints tenus par des gendarmes. À chaque fois, le mot « journaliste » suscitait une certaine méfiance de leur part. Le changement était notable par rapport à mon premier séjour, où le gouvernement souhaitait encore projeter une image d’ouverture. Entre-temps, l’évasion du chef de guerre Claude Pivi et l'explosion du principal dépôt d'hydrocarbures fin 2023 avaient changé la donne, entraînant une radicalisation du régime.