« IG Metall est ouvert à tous, sauf aux fascistes, racistes et autres réactionnaires. » Christiane Benner a donné le ton dès le premier discours de son mandat fin 2023, vêtue d’une sobre veste, et sous des applaudissements nourris. La présidente du premier syndicat allemand – il comptabilise 2,14 millions de membres –, a fait de la lutte contre l’AfD, principal parti d’extrême droite du pays, une priorité. Une façon de prendre au sérieux l’évolution du paysage politique outre-Rhin : en mai dernier, ce parti obtenait près de 16 % des voix aux élections européennes, soit le meilleur score de son histoire au niveau national. Sur l’ensemble des syndiqués allemands, il récoltait 18,5 % des voix. « Ça a été un choc pour nous », avouait la syndicaliste quelques jours après au micro de la radio publique. Expliquant ce vote par des perspectives d’emploi incertaines dans un secteur industriel en crise et par une perte de confiance en l’avenir, la première femme à diriger IG Metall s’est montrée préoccupée par la montée des populismes dans plusieurs pays européens.
Changer l’opinion des inquiets
L’opposition contre l’extrême droite « est ancrée dans l’ADN de nombreux syndicats allemands », selon le spécialiste des syndicats Klaus Dörre, mais la ferveur avec laquelle Christiane Benner s’y attelle et la place qu’elle y accorde sont, elles, inédites. « Ses prédécesseurs ne s’en étaient pas vraiment préoccupés, ou alors sans prendre de mesures concrètes », analyse-t-il. Élue à la tête du syndicat avec 96 % des voix, la sociologue de formation, élevée par une mère célibataire aux revenus modestes, veut pour sa part mettre les actes en conformité avec les paroles. Difficile cependant d’exclure de facto les adhérents qui votent pour l’AfD : même si IG Metall « est fortement orienté vers la social-démocratie », explique Klaus Dörre, il reste officiellement non partisan. Le credo de Benner ? « Je suis persuadée que nous pouvons, par le biais des entreprises, influer sur les opinions des personnes inquiètes, peut-être même les en faire changer », a déclaré dans la presse celle qui a forgé son âme de syndicaliste engagée en Afrique du Sud juste après l’apartheid – une effigie de Nelson Mandela trône dans son bureau – mais aussi à Chicago auprès d’Arvis Averette, militant afro-américain pour les droits civiques.
Concrètement, elle mise sur l’amélioration de la condition ouvrière, principal levier selon elle pour éviter qu’une majorité succombe aux arguments populistes. Lors des négociations de 2023 avec les entreprises de l’industrie sidérurgique du nord-ouest de l’Allemagne, son syndicat a exigé – et obtenu – une revalorisation des salaires de 8,5 % et un passage de trente-cinq à trente-deux heures de travail hebdomadaires avec compensation salariale.
L’opposition frontale qu’elle revendique a semé le trouble dans ses propres rangs.
Son engagement, elle le répète à l’envi, en tous lieux. « Dans des interventions publiques, dans des talk-shows, dans la presse, lors de débats politiques… », détaille le journaliste Frank Specht, chargé depuis dix ans de la question syndicale pour le quotidien économique Handelsblatt. Selon lui, outre des convictions personnelles « foncièrement tournées vers l’humain », c’est la présence depuis une quinzaine d’années de membres de l’association Zentrum – proche de l’AfD – au sein de plusieurs comités d’entreprises « d’usines du groupe Mercedes à Stuttgart, ou encore BMW et Porsche à Leipzig », qui peut aussi expliquer la volonté de la cheffe de file de taper du poing sur la table. L’opposition frontale qu’elle revendique a semé le trouble dans ses propres rangs. Dans les Länder de Rhénanie-du-Nord-Westphalie ou de Thuringe, la presse s’est fait l’écho de plusieurs démissions de membres de IG Metall suite à ses prises de position.