On l’a longtemps surnommé « le chien » chez Carrefour. En tant que directeur juridique spécialiste des contentieux, Jérôme Coulombel était chargé de maintenir dans l’enseigne le réseau des 2 200 franchisés Carrefour City ou Contact. C’est-à-dire d’appliquer à la lettre les contrats que le groupe leur impose. En théorie, ces contrats sont limités dans le temps, mais en pratique chez Carrefour, quand le signataire s’engage pour sept ans, il se retrouve enchaîné pour 99 ans. Un étau juridique savamment élaboré, dont l’objectif est de faire réaliser l’essentiel des marges par les franchises, face à la mauvaise santé des hypermarchés. En charge de tous les litiges, le directeur juridique a donc manié pendant deux décennies la carotte – un carnet de chèque qui assouplissait les disputes – et le bâton – des procès – avec brio. Jusqu’à ce que la coupe déborde.
Un premier déclic a lieu en 2013, à la suite d’un premier épisode dépressif. « Je me suis progressivement rendu compte que Carrefour ne respectait rien : ni ses fournisseurs, ni ses salariés, ni surtout ses franchisés », lâche ce taiseux au look un brin rigide. Exemple, côté fournisseurs : une sorte de taxe imposée avant toute négociation commerciale, mise en place en 2015. Jérôme Coulombel franchit le point de non-retour en 2017, lorsqu’il commande une étude comparative des prix auxquels l’enseigne vend à ses franchisés les produits de sa centrale. Il découvre un écart de 20 % supérieur à ce qui se pratique ailleurs. Carrefour lui propose 800 000 euros pour se taire. Il choisit de prendre la porte et se consacre, depuis, à la dénonciation du « système », comme il l’appelle.
Double plainte et perquisition musclée
En octobre 2021, Arte diffuse un documentaire dans lequel Jérôme Coulombel témoigne à visage découvert. Carrefour réactive une double plainte contre lui : pour vol de documents – il est parti avec des valises de papiers – et pour chantage et tentative d’extorsion de fonds, entraînant une perquisition musclée à son domicile. L’ex-cadre s’effondre. C’est le burn-out, le vrai, qui l’immobilise pendant dix mois, jusqu’à la reconnaissance de sa maladie professionnelle.
Depuis, c’est la remontada, mais l’ancien juriste ne fait pas cavalier seul. Il a créé dès 2020 une association regroupant des mécontents, et passe désormais ses journées à sillonner la France et la Belgique en voiture, au secours des déçus de la franchise et de la location-gérance. Il a même offert ses services à Système U, puis à Auchan pour les aider à recruter des franchisés de Carrefour. Par esprit de justice, et de vengeance. De sa lutte obsédante, qui continue à travers plusieurs procès contre le groupe d’Alexandre Bompard, il a écrit un livre, sorti à l’automne dernier. « Une partie de moi est morte lors de mon burn-out, je ne lâcherai rien car je n’ai plus rien à perdre », dit-il. Il faut toujours se méfier des chiens de troupeau.