Contraceptions forcées au Groenland : la fin d’un secret

Photos par Juliette Pavy Un récit photo de Manon Milleret
5 novembre 2025
radiographie d’un stérilet spirale
Entre 1966 et 1975, des milliers d’Inuites – souvent mineures – se sont vu poser de force un stérilet. La photographe Juliette Pavy a recueilli le récit de ces femmes victimes d’une campagne de dépeuplement menée par l’État danois, qui leur présente aujourd’hui ses excuses.
Entre 1966 et 1975, des milliers d’Inuites – souvent mineures – se sont vu poser de force un stérilet. La photographe Juliette Pavy a recueilli le récit de ces femmes victimes d’une campagne de dépeuplement menée par l’État danois, qui leur présente aujourd’hui ses excuses.

« Au nom du Danemark, pardon. » Ces quelques mots prononcés par la Première ministre danoise Mette Frederiksen le 24 septembre 2025 à Nuuk, la capitale du Groenland, ne suffiront pas à effacer des décennies d’abus coloniaux, mais ils étaient particulièrement attendus.

Entre 1966 et 1975, des milliers de femmes groenlandaises ont partagé en silence une douleur et une histoire qu’elles pensaient uniques. Toutes, pourtant, ont subi un traumatisme similaire : la pose non consentie d’un dispositif intra-utérin à l’adolescence, dans le cadre d’une campagne de contraception forcée : la « Spiralkampagnen ».

Ces stérilets en forme de spirale étaient beaucoup trop grands et inadaptés au corps de jeunes adolescentes, certaines âgées d’à peine 12 ans au moment de la pose. En plus des douleurs et des saignements, ils ont provoqué de graves infections, rendant certaines victimes définitivement stériles.

Cynisme économique

Longtemps secret, ce programme de dépeuplement décidé par le Danemark – l’ancien colonisateur, qui exerce encore une tutelle administrative sur le territoire arctique – a touché près de la moitié des Inuites en âge de procréer. L’objectif était cyniquement démographique et économique : limiter les naissances afin de réduire les subventions indexées sur la population native.

Trois ans avant ce mea culpa officiel, la photographe Juliette Pavy s’était elle aussi rendue à Nuuk. Elle y a découvert l’affaire par hasard, en lisant une brève dans la presse régionale. Bouleversée par cette politique d’État manipulant les corps féminins à si grande échelle, elle rencontre plusieurs victimes et recueille leurs témoignages. « En me confiant leur récit, elles m’ont aussi confié une responsabilité : celle de transmettre avec justesse et respect », mesure la photographe.

De ces entretiens naîtront des articles, des expositions, et finalement Spirals, une enquête photographique publiée en novembre 2025 aux éditions Four Eyes (dont les fondateurs assurent la nouvelle direction artistique de la revue XXI).

la ville de Nuuk
Nuuk, la capitale du Groenland, en novembre 2022. Située sur la côte ouest, elle compte 19 000 habitants. Naja Lyberth y vit.
portrait de Naja Lyberth
Naja Lyberth est psychologue à Nuuk. Elle fait partie des premières femmes à avoir témoigné de la contraception forcée qu’elle a subie à l’adolescence. En 2019, elle a raconté son histoire personnelle dans un journal local. Elle a ensuite rassemblé d’autres victimes et a créé un groupe Facebook en 2022, à la suite de révélations sur l’existence d’une politique danoise concertée. « Nous avons le droit de disposer de notre corps, et c’est un droit humain d’avoir des enfants. »
photo de Naja Lyberth adolescente
Naja Lyberth, adolescente sur cette photo. Elle n’avait que 13 ans lorsqu’un stérilet lui a été posé. Elle est ensuite retournée directement à l’école, ses parents n’étaient pas au courant. « Quand on m’a posé la “spirale”, c’était comme des couteaux à l’intérieur de moi, c’était très douloureux. »
un cabinet de gynécologie
Cabinet de gynécologie de l’hôpital de Maniitsoq. Dans les années 1990, la gynécologue Aviaja Siegstad recevait régulièrement des patientes qui ignoraient porter une « spirale ». Examinées pour des problèmes d’infertilité, ces femmes découvraient la présence du dispositif intra-utérin. En discutant entre collègues, les médecins pensaient alors à des initiatives isolées de praticiens sans scrupules. « Pour moi, le crime, c’est la décision politique et l’usage systématique de la contraception pour réduire une population. »
radiographie d’un stérilet spirale
Radiographie d’un stérilet utilisé durant la campagne de contraception forcée au Groenland. Des femmes ont été contraintes de retirer elles-mêmes ce dispositif, faute d’assistance médicale.
jeunes s’amusant devant un immeuble de nuit
Novembre 2022. Des jeunes s’amusent devant les immeubles de Nuuk. Le nombre de naissances a été divisé par deux dans les années qui ont suivi la Spiralkampagnen.
photo de classe sur un smartphone
Des jeunes filles du collège de Maniitsoq, toutes victimes de la campagne de contraception forcée.
un stérilet
Il existe aujourd’hui des modèles de dispositifs intra-utérins plus fins pour les adolescentes. La forme, la taille et les matériaux sont différents de ceux des « spirales » utilisées à l’époque des contraceptions forcées.
deux mains puisant de l'eau
Henriette Berthelsen avait 13 ans lorsqu’on lui a implanté un stérilet à l’hôpital de Nuuk, en 1966. Son tatouage sur la main représente la divinité la plus importante du panthéon animiste des Inuits, Sila, l’esprit du ciel, du vent et du climat. Le mot signifie aussi « conscience ».
l’ancien hôpital de Nuuk
L’ancien hôpital de Nuuk, en service jusqu’en 1967. Dans cette ville, on compte relativement peu de victimes de la Spiralkampagnen par rapport au nombre d’habitants. Selon la gynécologue Aviaja Siegstad, cette différence s’explique par la mixité de la population et par une plus forte résistance des médecins locaux à la politique de contraception forcée.
une aurore boréale
Aurore boréale évoquant une spirale dans le ciel de Nuuk, le 26 novembre 2022.
Une plage de Nuuk sous la neige
Une plage de Nuuk, en novembre 2022.