En 2021, cela fait déjà cinq ans que Patrick Wack photographie le Xinjiang. Derrière le calme apparent, ses images racontent la colonisation han dans cette région chinoise, et la détresse de la population musulmane.
« Je me rends au Xinjiang pour la première fois en 2016, avec l’envie de photographier une Chine méconnue, en pleine conquête de l’Ouest. Riche en matières premières, cette province est une étape clé des “Nouvelles Routes de la soie”, le projet pharaonique du président Xi Jinping. Le bazar de Hotan, une ville-oasis, déborde d’activité. » « Après plusieurs attentats commis par des terroristes ouïghours, des musulmans turcophones, Xi Jinping veut “frapper fort”. Des mosquées comme celle-ci ferment et la colonisation de la province par les Han, l’ethnie majoritaire en Chine, s’accélère. Aujourd’hui, ils sont 9 millions, presque autant que les Ouïghours (11 millions). » « Quand je retourne au Xinjiang, trois ans plus tard, en 2019, la répression contre les Ouïghours s’est intensifiée. Un million d’entre eux seraient détenus dans des camps de “rééducation”. À Tourfan, après une journée de marche, je tombe sur ce cimetière ouïghour abandonné. Le mausolée s’écroule. On dirait une décharge. En arrière-plan, des barres d’immeubles prêtes à accueillir la population han. » « Ürümqi, la capitale régionale du Xinjiang, ressemble désormais à toutes les grandes villes chinoises. Elle est peuplée à 75 % de Han. Depuis l’arrivée du gouverneur Chen Quanguo, en août 2016, qui avait été auparavant chargé de mater la rébellion au Tibet, les caméras sont partout. Ses méthodes : surveillance de masse, présence policière et détentions arbitraires. » « Des guérites de la police se dressent à tous les coins de rue. En quelques années, plus de 90 000 policiers ont été recrutés au Xinjiang. Certains me suivaient, d’autres me demandaient d’effacer mes photos, alors j’ai préféré photographier ce reflet plutôt que de pointer mon appareil dans leur direction, à Hotan. La plupart des nouvelles recrues sont des Ouïghours. Ils participent à la répression en échange d’un bon salaire et d’un meilleur statut social. » « En 2019, le bazar de Hotan n’est plus que l’ombre de lui-même. Le lieu est sous surveillance, les Ouïghours ne s’y attardent pas. L’endroit me fait penser à un décor de cinéma. Malgré la répression, la Chine a le souci des apparences. » « Une femme ouïghoure donne des cours de mandarin à Kachgar. Je ne sais pas à quel point elle est contrainte de le faire. Pékin mène une politique d’acculturation agressive pour obliger la population à abandonner sa langue et ses coutumes. Depuis 2017, le port d’une barbe “anormalement longue” et du hidjab est interdit au Xinjiang. » « Les Ouïghours sont contrôlés à l’entrée de tous les lieux de sociabilité. Ils doivent scanner leur carte d’identité et passer un portique de sécurité, comme dans les aéroports. Dans certaines villes, des QR codes ont été installés sur les mosquées et les maisons, afin que les autorités puissent facilement recueillir des informations les concernant. » « En hiver, les rues de Kachgar, la capitale culturelle ouïghoure, sont glacées. La température chute à - 10 °C. Soupçonnés de terrorisme, les Ouïghours ont peu d’opportunités de travail. Le Xinjiang regorge de pétrole, de gaz et de charbon, mais ils n’en perçoivent pas les bénéfices. » « Le tourisme explose au Xinjiang. Près de Tourfan, un Han pose avec des Ouïghours en tenue bariolée, aux portes du désert. On vient pour le folklore : balade à dos de chameaux, dégustation de brochettes… En 2020, l’office du tourisme du Xinjiang voulait attirer plus de 300 millions de visiteurs. Une autre façon de renforcer la présence han dans la province. » « Des amis chinois me disent : “Cette année, mes parents sont allés au Xinjiang, c’était super !” Comme s’ils parlaient d’une virée à Disneyland. Ils ne voient pas l’envers du décor. À quelques dizaines de kilomètres de ces dunes, il y a un camp d’internement où des Ouïghours sont enfermés. »