Nouakchott n’est pas que la capitale de la Mauritanie, c’est aussi celle de la Mercedes 190. Une voiture allemande à l’épreuve du désert qui a conquis le cœur des habitants et qu’a photographiée pour l’Agence France-Presse le photographe italien Michele Cattani.
En 1982, Mercedes-Benz commercialise la 190, sa première berline entrée de gamme, qui séduit instantanément le marché européen. Depuis ses usines de Sindelfingen et de Brême, le constructeur allemand en produit près de deux millions jusqu’en 1993. Pour autant, après cette date, le destin de la « Baby-Benz » ne s’arrête pas : les pays qui encerclent le Sahara s’arrachent des modèles d’occasion de cette voiture robuste et accessible. À Nouakchott, capitale de la République islamique de Mauritanie, « la 190 est partout et les gens la convoitent encore, 40 ans après » , a découvert avec étonnement Michele Cattani, photojournaliste installé dans le pays depuis novembre 2023. Interdite pendant plusieurs années – ce qui a favorisé l’envol des prix et le commerce illégal –, l’importation des derniers modèles restants a été de nouveau autorisée par le président mauritanien en 2022. Aujourd’hui, « Si vous arrivez avec une 190 à vendre en bon état, vous pourrez en tirer 10 000 euros cash, dans l’heure » , assure le photographe. Les Nouakchottois tirent une certaine fierté de leur voiture, comme ce propriétaire qui pose devant un garage de la capitale. « Il se souvenait parfaitement de la date d’achat de sa voiture, un 28 janvier… alors que cela remonte aux années 1990 » . À l’usage, la Mercedes 190 est le véhicule idéal pour manœuvrer dans le désert saharien : longue et légère, elle offre selon le photographe une excellente résistance à la chaleur et roule bien sur le sable – à condition de maintenir les pneus presque totalement dégonflés, autour d’un bar de pression, comme le font tous les chauffeurs qu’il a rencontrés. Contrairement à Bamako au Mali ou Dakar au Sénégal, Nouakchott n’est pas une ancienne ville coloniale. Sortie de terre à la fin des années 1950, la capitale s’est étendue à grande vitesse dans un apparent chaos qui désarçonne le citadin occidental. Nouakchott a été qualifiée de l’oxymore « ville nomade » , par l’anthropologue Christian Vium en 2016. « Capitale d’un pays de culture nomade, analyse le photographe, elle en a transposé l’esprit » : le tissu urbain y est très étalé, le recours à la voiture systématique, la fin de la ville et le début du désert n’ont pas de limites claires. « Je vois la passion des Mauritaniens pour la voiture comme un symbole de ce passage du nomadisme à la vie sédentaire, ajoute Michele Cattani. Et dans ce transfert, ajoute-t-il à moitié sérieux, la Mercedes 190 a pris la place du dromadaire » . Dans le cœur historique de Nouakchott, le quartier de Ksar est le royaume des mécaniciens. La jeune ville s’est construite autour de ce paradis de la bricole. S’y alignent en rang désordonné une profusion de boutiques dans les tons pastel consacrées à la mécanique automobile de seconde main : casses auto, carrosseries, garages… Sur le toit de ce magasin de pièces détachées de Mercedes 190 sont entreposés des coffres du fameux modèle allemand. Devant, des toits découpés. « Cette voiture est très recherchée aussi, témoigne le photographe, parce que les pièces détachées sont disponibles partout et en grande quantité. » À l’intérieur de la boutique rose pâle, le vendeur siège devant ses trésors mécaniques. Toutes les pièces – démontées de 190 hors d’état de marche – sont stockées pour être revendues. « Avec leur exhaustivité et l’abondance de petits objets qui y règne, les magasins de pièces détachées mauritaniens ont des airs de pharmacie » , observe le photographe. L’étalage offre un ordre certain : à droite, les radiateurs, au centre, les clignotants, en haut, la carrosserie. Et devant la formidable collection, ce vendeur qui, dans l’œil du photographe, « ne faisait presque plus qu’un avec l’arrière-plan. » Inutile de préciser qu’il est assis sur un fauteuil de Mercedes 190, transformé en siège de bureau. « Ceux qui choisissent la Mercedes 190 le font aussi parce qu’ils savent qu’ils pourront la garder quarante ans » , explique le photographe. À Ksar, les mécanos mettent quotidiennement les mains dans des dizaines de « Baby-Benz ». Au fil des années, ils en ont tiré une connaissance intime de sa mécanique et de son fonctionnement, à laquelle s’ajoute un certain esprit de débrouille. « J’ai vu un garagiste tendre une chaîne de distribution avec un bout de bois coincé au fond du moteur, pour qu’elle reste en tension. » « Cela ne tombera pas » , ont promis les docteurs ès Mercedes.Oussama a la vingtaine et ne possède pas sa propre 190. C’est celle d’un autre qui lui permet d’exercer le métier de taxi en échange d’une rétribution. « Avoir une voiture, c’est plus qu’un moyen de transport à Nouakchott : c’est la garantie de pouvoir gagner de l’argent, en faisant le taxi ou en transportant des marchandises d’une ville à l’autre » , explique le photographe. À l’avant, la moquette verte est une fausse fourrure synthétique que les conducteurs mauritaniens placent devant le pare-brise pour éviter que le soleil ne fasse exploser le plastique. Cela sert aussi à fixer des objets. « Ici, les gens aiment leur voiture au point de la customiser à fond. Ils veulent leur donner une personnalité. » Le quartier de Tarhil se trouve aux confins de Nouakchott, à la périphérie sud-est de la capitale. Créé à l’origine pour accueillir des réfugiés liés à la sécheresse, les logements y sont rudimentaires, l’accès à l’eau dépend du passage d’un camion-citerne qu’attendent les habitants tous les soirs. Michele Cattani marchait seul dans ce bidonville quand il a vu cette 190. Il s’est mis à la photographier jusqu’à ce que son propriétaire s’avance vers lui, l’œil interrogateur. Après quelques instants à regarder les clichés déjà pris par le photojournaliste, le propriétaire de cette 190 a compris la démarche de Michele Cattani et, en silence, a pris l’initiative de se mettre en scène de cette façon. « La voiture est à Nouakchott un vrai signe de statut social, les habitants en parlent beaucoup et sont toujours prêts à montrer la leur, ajoute le photographe. Malgré la pauvreté de la population, il n’est pas rare d’en voir à la plage défiler en vrombissant des gros 4 x 4 qui diffusent de la musique. »