Le « lowriding » se conjugue aussi au féminin

Photos par Mario Heller Un récit photo de Catherine de Coppet
En ligne le 29 octobre 2024
Le « lowriding » se conjugue aussi au féminin
Retaper une guimbarde à bout de souffle, abaisser ses suspensions, la customiser à l’extrême et, enfin, parader au volant : le « lowriding », né dans la communauté mexicano-américaine, est un hobby coûteux. C’est aussi un moyen d’expression et d’émancipation. Le photographe suisse Mario Heller est allé à la rencontre de Californiennes adeptes de cet art de vivre, longtemps réservé aux hommes.
Article à retrouver dans la revue XXI n°67, Esport, la revanche des geeks
Retaper une guimbarde à bout de souffle, abaisser ses suspensions, la customiser à l’extrême et, enfin, parader au volant : le « lowriding », né dans la communauté mexicano-américaine, est un hobby coûteux. C’est aussi un moyen d’expression et d’émancipation. Le photographe suisse Mario Heller est allé à la rencontre de Californiennes adeptes de cet art de vivre, longtemps réservé aux hommes.
Article à retrouver dans la revue XXI n°67, Esport, la revanche des geeks

Aujourd’hui pratiqué dans tous les États-Unis, le lowriding est né ici, à Los Angeles. Aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale, alors que l’Amérique s’équipe en voitures, les vétérans d’origine mexicaine mettent à profit la formation mécanique qu’ils ont reçue à l’armée. Pour se distinguer des bolides en vogue, ils réparent et personnalisent des voitures anciennes, moins chères. Et y apportent leur touche, avec des suspensions spéciales, permettant d’abaisser ou surélever le véhicule à volonté.

D’origine mexicaine par ses parents, Sandy Avila, 40 ans, s’est d’abord impliquée dans la création, en 2021, du club Blvd Riders. Elle y a initié des soirées entre filles, avant de fonder son propre club. Lady Lowrider, qui est 100 % féminin, se définit comme « un lieu de sororité » et de « lutte contre les discriminations envers les femmes » dans le milieu du lowriding. Toutes les filles photographiées par Mario Heller font partie de ce groupe.


Sandy a toujours baigné dans le milieu du lowriding, d’abord par l’intermédiaire de son père, puis de son mari, David. Grâce aux talents de mécano de ce dernier, elle a entièrement refait à son goût son Oldsmobile de 1984, qu’elle a baptisée « Simply Beautiful ». « Pour les femmes qui ne s’y connaissent pas en mécanique, c’est un défi de trouver quelqu’un qui les aidera sans les arnaquer, raconte-t-elle. Mais c’est quand même de plus en plus facile pour nous d’évoluer dans le milieu. » Pour sa plus grande fierté, Simply Beautiful est actuellement exposée au Petersen Automotive Museum de Los Angeles, un des plus importants musées de l’automobile au monde.

Tina L. Blankenship-Early est, elle aussi, une pionnière. À 56 ans, cette éboueuse de profession, native de South Los Angeles, a été en 2023 la première femme à figurer dans le National Lowrider Hall of Fame, un palmarès publié par Lowrider Magazine, qui distingue chaque année des personnalités de la discipline – parfois qualifiée de « sport ». Tina a installé elle-même la conduite de carburant, les freins à disque ou encore les câbles électriques de « Game Killa », une Chevrolet Caprice de 1966. Cela lui a pris sept ans pour transformer ce qui n’était à l’origine qu’un châssis vide.

Devenue la plus célèbre de ses voitures, Game Killa apparaît notamment dans Straight Outta Compton, un film de 2015 qui retrace l’histoire de NWA, célèbre groupe de hip-hop de la fin des années 1980. Le lowriding, qui connaît également un certain succès dans la communauté afro-américaine, a été popularisé dans les années 1990 par les clips de gangsta rap.


À l’époque, en 2023, Crystal Dominguez vient de rejoindre le Lady Lowrider. Avant de devenir membre officielle du club, l’assistante de laboratoire âgée de 39 ans dispose de six mois pour démontrer son investissement. Enfant, elle a connu le lowriding grâce à ses deux frères. Quand l’un d’entre eux décède d’une overdose en 2021, Crystal se lance à son tour, et conçoit sa voiture comme un hommage. Son nouveau hobby fait office de thérapie. 

« Cela prend beaucoup de temps et coûte cher, raconte Crystal. Mais chaque penny investi en vaut la peine. Quand je conduis ma voiture, je me sens bien, j’oublie tout. J’adore parader. » Indissociables de la culture du lowriding, les parades (cruising) sont l’occasion d’exhiber sa voiture, pour laquelle plusieurs dizaines de milliers de dollars ont généralement été dépensés.

Le coffre du lowrider de Mary Lopez renferme quatre pompes hydrauliques, qui permettent de rehausser le châssis de manière différenciée au niveau de chaque roue.

Se déplacer sur trois roues est une figure typique du lowriding. « Nous, les femmes, nous nous sommes toujours assises à côté de nos maris, raconte Mary. Maintenant, nous avons nos propres voitures. J’adore conduire la nuit en écoutant de la musique, je me sens libre ! » Il y a dix ans, la quadragénaire a appris qu’elle était atteinte d’un cancer du rein. Sa Chevrolet Impala 1963 – offerte par son mari, lui aussi fan de lowriding – est devenue le symbole de sa lutte contre la maladie.


Pour Jennifer Paulino, 47 ans, le lowriding est avant tout un moyen d’expression. « Il y a d’abord ma famille, et tout de suite après il y a ma voiture », affirme-t-elle. Les compliments des passants sur sa Chevrolet Chevelle de 1972 la rendent fière.

Longtemps associé à la criminalité, le lowriding est dans le viseur des autorités californiennes depuis la fin des années 1950. En 1982, une loi a même autorisé les communes de l’État à interdire les parades, jugées dangereuses pour la sécurité routière. 

Monique, 41 ans, se réjouit de la légalisation des parades depuis 2023, qui a notamment été obtenue grâce à l’implication des adeptes féminines. Malgré tout, les voitures modifiées demeurent officiellement illégales, pour des raisons environnementales. « Nous allons encore devoir jouer au chat et à la souris avec la police », craint Monique.