Le lobby des mines derrière la chute du diamant made in France

Écrit par Zélie de Crécy Illustré par Candice Roger
14 juillet 2025
fabrication d’un diamant rouge dans un laboratoire
En créant une start-up de fabrication de diamants « de laboratoire », la chercheuse Alix Gicquel espérait promouvoir ces pierres précieuses, plus éthiques et plus écologiques que les joyaux extraits des gisements d’Afrique, de Russie ou du Canada. C’était sans compter sur les multinationales minières. Qui ont su peser sur les grandes maisons de joaillerie françaises et sur leurs relais politiques.
21 minutes de lecture

Alix Gicquel est en route pour la soutenance de thèse de son tout dernier étudiant. « Ça fait quelque chose », admet la scientifique de 70 ans. Elle porte son carré blond et une veste brodée de fleurs multicolores pour l’occasion. Sous une légère bruine, elle se gare devant une discrète annexe du campus de Villetaneuse de l’université Sorbonne Paris-Nord, où se niche le Laboratoire des sciences des procédés et des matériaux (LSPM) du CNRS. Impossible de deviner que, derrière ces murs de béton gris, des diamants sont en train de pousser.

C’est pourtant ici qu’Alix Gicquel a mis sur pied la première équipe de recherche française dédiée à la croissance de ces pierres précieuses dans des réacteurs à plasma, qu’elle a dirigée pendant vingt-cinq ans. Une fois taillées, celles-ci sont impossibles à distinguer à l’œil nu de celles venues des mines. Elles ont exactement la même composition chimique : du carbone pur.

Mais si les diamants naturels, formés au plus profond du manteau terrestre, mettent des millions d’années à remonter à la surface de la Terre, ces réacteurs ultra-sophistiqués permettent d’en obtenir en quelques semaines. Ces machines sont le fruit d’une vie de recherche, et aujourd’hui la cause de la plus grande désillusion d’Alix Gicquel.

Bousculer l’oligopole

Car, il y a dix ans, elle et son mari ont eu l’idée de sortir cette technologie du strict domaine de la recherche, et de vendre des diamants français, des vrais, aux grandes maisons de joaillerie. Mais en créant leur petite entreprise, Diam Concept, ils se sont approchés d’un peu trop près des intérêts des sept multinationales qui exploitent les mines de diamant et fournissent les trois quarts du marché mondial. De Beers, Rio Tinto, Alrosa… Cet oligopole, rassemblé au sein d’un lobby, le Natural Diamond Council (NDC), fait front commun contre les initiatives comme Diam Concept.

Une bataille acharnée s’est déclenchée, qui passe, entre autres, par les mots. Et en France, les géants du diamant ont réussi à imposer les leurs, faisant du pays de la joaillerie une exception mondiale et un bastion de résistance du diamant dit « naturel », autrement dit « de mine ». C’est aujourd’hui le seul pays où l’expression « diamant de laboratoire », largement utilisée partout ailleurs dans le monde, est interdite. Un décret impose l’utilisation du terme « synthétique » ou « de synthèse », largement moins vendeur.

Alix et son mari en ont fait les frais. En décembre 2024, ils ont dû vendre leurs cinq réacteurs et fermer les portes de leur start-up. La scientifique ne s’attendait pas à faire face à une industrie aussi coriace, loin d’être emballée par l’idée d’un diamant made in France, éthique et écologique. « La fin est dure à encaisser », admet la scientifique de retour dans son appartement de l’Ouest parisien. Elle m’accueille sur le canapé motif tartan d’un salon recouvert de tapis persans et éclairé par de grandes baies vitrées. « Il faut se remettre de ce qu’on a vécu. »

La foudre et les flammes du soleil

C’est au LSPM que naît chez Alix Gicquel l’idée de Diam Concept, dans les années 2010. Cela fait alors vingt ans qu’elle dirige le laboratoire, le plaçant à la pointe de la recherche mondiale sur le diamant, en ébullition entre les États-Unis, la Russie et le Japon. « Ça a été une période passionnante. On allait à toutes les conférences. On a rencontré la terre entière », se souvient la chercheuse.

C’est en 1987, lors d’une conférence à Tokyo, qu’elle a découvert que le diamant pouvait être créé en utilisant du plasma. Alix avait alors 30 ans et venait de terminer une thèse sur ce gaz rempli d’électricité qui compose la foudre et les flammes du soleil. Quand elle a appris que des chercheurs japonais avaient réussi, en réacteur, à l’utiliser pour faire en sorte qu’en quelques semaines, des atomes de carbone s’assemblent un à un, puis se cristallisent, elle s’est émerveillée. « Je me suis dit que c’était le sujet de ma vie ! »

Déjà dans les années 1950, des industriels américains avaient réussi à créer du diamant. Pour cela, ils avaient utilisé de gigantesques réacteurs, pouvant atteindre quatre mètres de haut, reproduisant la température et la pression extrêmes des entrailles de la Terre. Mais les réacteurs à plasma permettent de faire pousser des diamants de manière beaucoup plus précise et nettement moins énergivore, dans des instruments bien plus petits.

Loin des conflits armés

Le LSPM est donc le premier laboratoire français à étudier la question. Alix y monte peu à peu une équipe d’une vingtaine de chercheurs. Il est rapidement mis en observation par les industriels du monde entier. Dès 2001, une entreprise américaine tente même de signer un contrat de transfert de technologie, refusé par le CNRS. Car le diamant est un matériau stratégique. D’une dureté et d’une résistance extrêmes. On peut en recouvrir des foreuses capables de découper en profondeur la croûte terrestre, des scalpels chirurgicaux de pointe, ou s’en servir comme composant pour des satellites.

Dans les années 2010, certaines entreprises américaines se mettent à en produire pour la bijouterie. Alors pourquoi ne pas faire pousser, à Villetaneuse, des diamants français pour les joailliers de la place Vendôme ? Plus besoin d’aller perforer la terre au Botswana ou en Sibérie, de risquer de financer des conflits armés ou de soutenir une industrie énergivore. Produire un carat – soit 200 mg – de diamant français par plasma avec de l’énergie renouvelable émet 17 kg de CO2, selon un rapport du cabinet Sphera en 2021. Contre 160 kg de CO2 pour un diamant de mine, selon une étude commandée en 2019 par le Natural Diamond Council à l’agence de notation Trucost.

examen d’un diamant à la loupe

Pourquoi y a-t-il encore des mines de diamant, puisqu’on sait en fabriquer ?

Philippe Pradel, ancien directeur général de Diam Concept

Alix Gicquel saute dans le train en marche et lance Diam Concept en 2016. Elle est suivie par un associé, qui quittera le navire un an plus tard, et par son mari, Philippe Pradel. Polytechnicien, il a quitté en 2010 la direction de l’énergie nucléaire au Commissariat à l’énergie atomique (CEA). Aujourd’hui consultant dans le nucléaire, il travaille sur la grande table de la salle à manger, à côté de nous, et n’hésite pas à ajouter son grain de sel à chaque fois qu’il passe dans le salon pour fumer une cigarette sur le balcon. « Pourquoi y a-t-il encore des mines de diamant, puisqu’on sait en fabriquer avec quelque chose qu’on trouve partout : du carbone ? » Pour lui, il est évident que la France, avec son mix énergétique à majorité nucléaire, doit se jeter sur l’occasion.

En 2020, toutes les planètes sont alignées. De l’université Sorbonne Paris-Nord, Diam Concept déménage dans un accélérateur de start-up dans les Yvelines. L’entreprise compte six salariés et quatre réacteurs, qui sortent des fournées d’une soixantaine de diamants toutes les six semaines. Les premiers sont vendus à des joailliers. Le laboratoire parvient même à empocher un très discret billet de Chanel, qui investit 2 millions d’euros dans la société. Comme toute la place Vendôme, la marque de luxe garde un œil sur l’innovation, mais refuse encore d’intégrer des diamants de laboratoire à ses collections.

L’industrie minière extrait entre 115 et 125 millions de carats de diamant chaque année, soit près de 25 tonnes. La majorité provient d’une trentaine de mines. Des fosses allant jusqu’à 500 mètres de profondeur, réparties dans le monde – du Botswana à la Russie en passant par l’Afrique du Sud ou le Canada. Les pierres transitent ensuite à travers les continents pour être taillées, polies, certifiées, puis vendues par les diamantaires. À Paris, tous sont installés à l’angle de la rue Lafayette et de la rue Drouot, dans le 9e arrondissement, à un kilomètre de la place Vendôme.

Coffres-forts en open space

L’un d’eux a accepté de me recevoir, à condition de rester anonyme, « question de sécurité ». Pour le rejoindre, il faut passer plusieurs portes blindées, laisser sa carte d’identité, et patienter dans un sas vitré où résonnent les cliquetis d’une dizaine de verrous automatiques. Une chorégraphie gigantesque qui trouve tout son sens dans la rareté et le prix du diamant naturel. En fonction de sa pureté ou de sa couleur, le carat de diamant, soit le poids d’un trombone, peut monter jusqu’à 25 000 €. En 2024, le chiffre d’affaires du groupe De Beers représentait 3,3 milliards de dollars.

Le marché global du diamant naturel est estimé à près de 100 milliards de dollars chaque année. Mais ces sommes sont en chute libre. Depuis 2022 et l’invasion russe en Ukraine, les prix du diamant de mine ont baissé de 25 %, menaçant les pays producteurs comme le Botswana, où le diamant brut représente près d’un quart du PIB. En mai 2024, c’est le coup de tonnerre : Anglo American, l’actionnaire majoritaire britannique de De Beers, annonce même la mise en vente du producteur sud-africain de diamants. Aujourd’hui encore, il n’a pas trouvé repreneur. Pour notre hôte, héritier de trois générations de diamantaires, l’origine de cette chute est facile à trouver : « Le mal du diamant synthétique a été d’accélérer la baisse des prix du diamant naturel. »

Dans l’open space du diamantaire, une dizaine d’employés sont affairés à leur bureau. Tous sont équipés de loupes, tamis et balances, mais surtout de larges coffres-forts. Face à l’essor du diamant de laboratoire, tout cet écosystème s’est reposé sur l’exception française en matière de terminologie. « On est conservateurs », justifie le négociant dans un sourire. En France, un décret poussé en 2002 par la filière impose d’appeler « synthétique » tous les « produits cristallisés » dont la fabrication est « provoquée totalement ou partiellement par l’homme ». « Le décret nous protège. Le reste du monde nous l’envie », assure mon hôte, satisfait.

« Miracles de la technologie »

La situation paraît « invraisemblable » à Alix et Philippe. Pour eux, « le terme synthétique est non seulement dégradant, mais il est faux ». La synthèse sous-entend le processus chimique de l’assemblage de deux atomes différents. Or, le diamant produit par Diam Concept est composé uniquement de carbone pur. Le terme « synthétique » est considéré comme trompeur par la Federal Trade Commission, aux États-Unis, qui a préconisé de ne pas l’utiliser, dans une décision de 2018.

« Voilà le trésor ! » annonce Alix en étalant une dizaine de diamants sur la toile du canapé. « Celui-là, c’est le tout premier ! » Microscopique, d’un blanc translucide, il est pendu à un collier doré. Les teintes des autres vont du vert au rose, au bleu. « Si les diamants naturels sont des miracles de la nature, les nôtres sont des miracles de la technologie », lance fièrement la scientifique. « L’appellation nous a beaucoup handicapés, au final, regrette Philippe. Vendre du diamant “synthétique”, c’est une honte. »

Le couple a décidé d’écrire à Bercy en 2021 pour réclamer une modification du décret. En juillet 2022, ils sont parvenus à convaincre le ministère de rouvrir le dossier, provoquant un vent de panique dans le secteur. Un événement venait alors de bousculer le mécanisme bien huilé de l’industrie. En effet, en février, la Russie avait attaqué l’Ukraine, provoquant un embargo des pays du G7 sur ses gemmes. Or, le géant minier russe Alrosa extrait un tiers du marché mondial.

Mines illégales et guerres civiles

Le conflit provoque une explosion du diamant de laboratoire, au point qu’il atteint aujourd’hui 20 % des ventes dans le monde. « On a été très surpris que le diamant synthétique prenne autant de parts de marché », confie le diamantaire parisien, attablé à son bureau.

En réalité, malgré l’embargo, Alrosa continue de forer. En 2024, il a extrait 33 millions de carats, blanchis en Inde ou à Dubaï, plaques tournantes qui n’ont, elles, décidé d’aucune sanction et continuent de fournir le marché international. Exacerbés par la guerre en Ukraine, ces angles morts de la traçabilité de l’industrie sont régulièrement pointés du doigt par les défenseurs de la pierre de laboratoire. Car le diamant est historiquement écoulé en partie sur le marché noir.

Dans les années 1990 ont notamment éclaté une série de scandales visant plusieurs pays africains. Lors des guerres civiles en Angola ou en Sierra Leone, les groupes rebelles se finançaient en exploitant des mines illégales. Des réalités mises en lumière par des rapports de l’ONG Global Witness en 1998 et des Nations unies en 2000. « La traçabilité a fait de grands progrès, tempère le diamantaire. Même s’il reste des trous dans la raquette. »

Saper le diamant de synthèse

Les groupes miniers se sont alliés, au sein du lobby Natural Diamond Council, pour redorer leur image et mener une bataille judiciaire aux producteurs et détaillants de diamants de laboratoire. En mai 2024, le NDC obtient gain de cause après une plainte au Royaume-Uni contre un producteur qui avait osé qualifier ses pierres de « vrais diamants ».

En parallèle, le leader mondial De Beers mène un travail de sape de l’intérieur. Il s’est positionné dès les années 1950 à la pointe de la recherche sur le diamant de synthèse à travers une filiale aux États-Unis. En 2018, il y lance sa propre marque de bijouterie dédiée au diamant de laboratoire, Lightbox.

« L’idée était d’accélérer la chute des prix du diamant de synthèse. Ils ont proposé un prix de départ qui était d’un tiers de celui du diamant de mine », raconte notre diamantaire. Le principe : segmenter le marché et faire passer le diamant de synthèse pour de la pacotille. « On a tous trouvé que c’était une très bonne idée. » Malgré tout, la vague déferle aux États-Unis. Or le berceau de Tiffany & Co est le premier marché mondial du diamant. En 2024, l’analyste Edahn Golan, spécialiste de l’industrie diamantaire, estimait que 45 % des bagues de fiançailles vendues outre-Atlantique étaient serties de diamant de laboratoire.

Notre but est la sécurité du consommateur.

Bernadette Pinet-Cuoq, présidente de l’Union de la joaillerie

Mais en France, l’industrie traditionnelle du diamant peut se targuer d’avoir réussi son coup. Car les diamantaires et les joailliers ont pu compter sur leur lobbyiste en chef. Bernadette Pinet-Cuoq préside depuis vingt ans l’Union de la joaillerie, l’UFBJOP, qui réunit les négociants, les joailliers de la place Vendôme et sa galaxie d’ateliers de fabrication. Elle me fait visiter l’immeuble centenaire occupé rue du Louvre depuis 1920 par la chambre syndicale, au parquet qui craque sous le tapis rouge. Très souriante, elle porte un carré brun coupé net et des yeux bleus perçants derrière une large monture noire.

« Il n’y a pas eu de levée de boucliers, assure-t-elle. Notre but est la sécurité du consommateur. » Pour la chambre syndicale, le terme « de synthèse » est tout à fait adapté, il décrit « un diamant qui n’est pas naturel, mais artificiel ». Même son de cloche au Natural Diamond Council. « Il n’y a pas de combat entre le diamant de synthèse et le diamant naturel, tempère une communicante française du lobby. Le but est simplement d’informer le consommateur. » Elle estime qu’au contraire, « les marques qui utilisent du diamant de synthèse sont très virulentes envers le diamant naturel ».

Certificats de qualité refusés

Très tôt, l’Union de la joaillerie a fait passer le mot chez ses adhérents. Pas question pour les ateliers de fabrication français de manier les deux versions du diamant. La seule idée que les stocks puissent se mélanger donne des sueurs froides à tout le secteur. Même le Laboratoire français de gemmologie (LFG), l’institut qui délivre des certificats attestant de la qualité d’une pierre – son poids, sa pureté, sa couleur, sa taille –, refuse de grader les diamants de laboratoire. Il faut dire qu’il a été racheté en 2010 par l’UFBJOP alors qu’il était auparavant public, dépendant de la chambre de commerce de Paris.

Le LFG a longtemps été le seul au monde à opposer un tel refus. Ses homologues aux États-Unis ou à Anvers se sont tous mis peu à peu à ce nouveau type de pierres, avant de se rétracter en juin 2025, décidant qu’ils ne certifieraient plus les diamants de laboratoire d’après les mêmes critères que ceux de mine – la chute du diamant de synthèse rendant sa certification de moins en moins rentable.

Il n’a pas été bien compliqué pour Bernadette Pinet-Cuoq de convaincre Bercy de ne pas toucher une virgule au décret de 2002. La voix du syndicat, fort de ses 200 adhérents, dont les maisons des groupes de luxe LVMH ou Kering, cumulant 6,1 milliards de chiffre d’affaires en 2024, pèse bien plus lourd que celle d’Alix Gicquel et son mari. Pendant plusieurs mois, la présidente de l’UFBJOP a multiplié les rencontres avec les députés, les sénateurs et les membres du cabinet du ministère de l’économie. En octobre 2023, l’industrie du diamant traditionnelle a obtenu gain de cause : Bercy a annoncé que le décret resterait inchangé.

Contrôles de la Répression des fraudes

Les prestigieuses maisons Van Cleef & Arpels ou Chaumet ne se sont pas aventurées sur le terrain du diamant de laboratoire, à de rares exceptions près. En revanche, quelques jeunes marques françaises en ont fait leur argument de vente, comme Courbet, fondée en 2018. « Il a fallu du temps pour qu’on parle de nous en bien », admet son cofondateur, Manuel Mallen, qui accueille dans son showroom. Au mur, il a accroché une photo de la plus grande mine de diamant du monde. Un trou béant de 100 hectares opéré par De Beers à Orapa, au Botswana. « La production minière se restreint. » Il est persuadé que le futur de la joaillerie réside dans ces nouvelles pierres.

Associé à Diam Concept dans la lutte contre le décret de 2002, Courbet s’est vite retrouvé dans le viseur de la chambre syndicale, qui n’a pas hésité à se fendre d’un courrier l’accusant d’enfreindre les obligations légales, lorsqu’il utilisait le terme « diamant de laboratoire » dans sa communication. La marque a par ailleurs plusieurs fois fait l’objet de contrôles de la Répression des fraudes, encore une fois concernant le respect du fameux décret. Après plusieurs années dans le rouge, elle a été placée en liquidation judiciaire fin mai 2025.

Le joaillier Vever a aussi fait les frais de la réticence de l’UFBJOP. Fermée dans les années 1980, la maison historique a été relancée en 2021 par les héritiers de son fondateur, Ernest Vever. Ils demandent alors à intégrer la chambre syndicale, que leur aïeul avait présidée à la fin du XIXe siècle. Problème : la nouvelle génération a choisi de proposer du diamant français, créé par Diam Concept. C’est pour cette raison qu’ils se voient refuser leur carte de membre.

Face aux géants indiens et chinois

Aucun autre joaillier n’a tenté sa chance depuis. Encore moins après la fermeture de la start-up d’Alix Gicquel. Mais pour les distributeurs français de diamants de laboratoire, la chute de la petite entreprise ne s’explique pas seulement par la levée de boucliers du lobby. Diam Concept était en réalité loin d’être assez armée pour faire le poids face aux géants qui poussent aux États-Unis, en Chine ou en Inde. Des usines où ronronnent des centaines de réacteurs de diamants, capables de produire des centaines de milliers de carats chaque année.

Plus de 70 % des diamants de synthèse sont produits en Chine ou en Inde, selon le Natural Diamond Council, qui aime à rappeler que la principale source d’énergie de ces pays reste le charbon. Plusieurs bijoutiers confient ne pas avoir pu se fier aux réacteurs de Diam Concept pour répondre à leur demande, en termes de quantité ou de couleur. Le temps de pousser, d’être certifiées et taillées, les pierres d’Alix pouvaient mettre plusieurs mois à être prêtes – contre une dizaine de jours pour les pierres chinoises ou indiennes, poussées, taillées, polies et certifiées sur place.

Diam Concept a donc été placée en redressement judiciaire en mai 2024. Une brève lueur d’espoir est apparue quand Fenix, l’un des géants indiens du marché, a envisagé un rachat. Les appels aux investisseurs, dont Chanel, sont restés lettre morte. Et le groupe a finalement abandonné. Aujourd’hui encore, un stock d’un millier de gemmes multicolores dépérit sous le bureau du liquidateur judiciaire, dans l’attente d’une vente aux enchères qui puisse venir combler les dettes de la start-up.

Diamants appliqués au quantique

À Villetaneuse, la recherche continue. L’université héberge l’une des deux entreprises qui font encore pousser des diamants français. Mais aucun ne brillera plus à aucune bague de fiançailles. Ils deviendront des composants de la technologie de demain. Car si le luxe n’en a pas voulu, les diamants de couleur, quasiment introuvables dans la nature, fascinent les scientifiques du quantique, la science de l’infiniment petit. Et les yeux d’Alix s’illuminent en évoquant le sujet.

Elle n’a pas baissé les bras. Aujourd’hui consultante indépendante, elle va de labo en labo apporter son expertise. Elle explique comment les teintes rose, bleue ou jaune d’un diamant naissent d’une infime imperfection dans sa structure. Un atome d’azote, venu se nicher près d’une « lacune » dans le cristal, un vide minuscule où le carbone manque à l’appel. « La recherche quantique a besoin de ce défaut cristallin, et fait exprès de le provoquer », s’anime la chercheuse. Car ce cœur microscopique peut permettre de capter des champs magnétiques, ou encore de stocker de l’information quantique.

Cette application du diamant à la haute technologie est vouée à exploser : le quantique appliqué à l’informatique ou à l’industrie est loin d’avoir atteint son plein potentiel. « Le risque, c’est qu’il ne reste personne en France qui soit prêt quand la technologie fonctionnera », s’inquiète Philippe. « Nous, on a fait ce qu’on a pu », conclut Alix. Ses derniers diamants gisent sur le canapé. Une énorme pierre, couleur cognac, brille sur un sautoir délicat. « Celui-là, je l’ai porté des années autour du cou. Maintenant, il a le droit de se reposer. »

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