Le jeune consultant sort de la finale de Roland-Garros, les yeux rivés à son téléphone. Caché à l’arrière d’une voiture, un supporter de l’Olympique de Marseille (OM) le filme et publie la vidéo avec ce commentaire : « Kacy Grine stp [s’il te plaît, ndlr] occupe-toi de l’OM ! » L’homme d’affaires français est au cœur des fantasmes de rachat du club de football par l’Arabie saoudite : il dispose de puissants relais au sein de l’élite du royaume et il a rencontré en 2020 le propriétaire du club, Frank McCourt. Depuis, il suffit que son concurrent qatari, le Paris Saint-Germain, brille sur le terrain pour que la rumeur des pétrodollars saoudiens resurgisse.
Mais c’est loin de Marseille, en République démocratique du Congo (RDC) et aux États-Unis, que Kacy Grine s’active depuis début 2025. Sur un cliché posté sur son compte Instagram, le trentenaire, raie au milieu sur tignasse brune, pose à côté de Félix Tshisekedi, le président de la RDC. Derrière cette photo, légendée « Super rendez-vous avec SE [Son Excellence, ndlr] », se cache un coup diplomatique qui n’a plus rien à voir avec le monde du foot – mais toujours avec la péninsule arabique. Et, cette fois, avec Donald Trump.
3 000 milliards de dollars
Les secrets du rendez-vous sont résumés dans une missive de trois pages. Datée du 8 février 2025, elle est adressée par le chef de l’État congolais au président américain. Au même moment, les rebelles du Mouvement du 23 mars (M23) viennent de prendre possession de la ville de Goma, dans l’est de la RDC. La fulgurance de leur expansion territoriale menace de faire vaciller le pouvoir central. Son armée défaite, sans soutien extérieur, Félix Tshisekedi se résout à jouer son va-tout.
Dans sa lettre confidentielle, le président congolais qualifie donc Trump « d’homme de paix et d’honneur », avant de lui proposer « un partenariat de 3 000 milliards de dollars entre [nos] compagnies minières publiques et [votre] fonds souverain américain nouvellement créé ». En contrepartie de cet accès privilégié à son sous-sol minier, Tshisekedi espère négocier des garanties sécuritaires et un appui diplomatique pour faire pression sur le voisin rwandais, qui soutient le M23. Il assure de sa « confiance dans la capacité [du messager] à remettre cette lettre et à aider [les Américains] à prendre les mesures nécessaires pour assurer une progression efficace et sans heurts ». Le messager, est-il précisé dans le texte, s’appelle Kacy Grine.
Un habitué de Mar-a-Lago
Après avoir porté la lettre à Mike Waltz, alors conseiller à la sécurité nationale de Donald Trump, le Français pose ses valises à Mar-a-Lago, la résidence d’été du président américain en Floride. Kacy Grine y a ses habitudes. Il a déjà croisé la route de Trump lors de son premier mandat, en 2018. À l’époque, il était allé plaider la cause du prince saoudien Al-Walid Ben Talal, celui que les Marseillais rêvent de voir reprendre l’OM, qui venait d’être enfermé au Ritz-Carlton de Riyad lors de la grande purge lancée par le prince héritier Mohammed Ben Salmane (MBS).
La lettre portée par Kacy Grine parvient, au moins un temps, à raviver une mécanique diplomatique jusque-là grippée pour Kinshasa. En l’espace de quelques semaines, les représentants de la RDC se succèdent à Washington, tandis que plusieurs officiels américains font le déplacement dans la capitale congolaise. Un résultat inespéré pour Félix Tshisekedi, alors conscient de jouer la survie de son pouvoir.
Football et matches de boxe
En réalité, sous Donald Trump, la diplomatie est envisagée comme une succession de transactions. Cela a été le cas avec l’Ukraine, quand le président Volodymyr Zelensky a été forcé d’engager les ressources naturelles du pays pour être entendu. C’est le cas aussi à Gaza, le président américain évoquant un délirant projet de transformation de l’enclave détruite en station balnéaire comme condition à l’issue du conflit.
Cette « diplomatie transactionnelle » laisse aux banquiers le champ libre pour proposer des plans géostratégiques. Ancien de la banque d’affaires française Bucéphale Finance, Kacy Grine se positionne donc pour offrir une solution financière à une impasse géopolitique en piochant dans son carnet d’adresses saoudien.
Depuis la disgrâce de son protecteur Al-Walid Ben Talal, Grine s’appuie sur Turki Al-Sheikh, le conseiller royal chargé du « divertissement », et notamment de la ligue de foot ou de matches de boxe à retentissement planétaire. C’est notamment grâce à cet influent sponsor que le Français dispose d’accès au Public Investment Fund (PIF), le fonds souverain saoudien, qui doit financer les projets pharaoniques du prince MBS pour l’après-pétrole.
Début juin, la machine s’enraye
Et, puisque chacun cherche son gain – Trump à faire un coup d’éclat diplomatique, Tshisekedi à survivre à la crise sécuritaire de son pays, MBS à sortir de sa dépendance au pétrole –, Grine propose une joint-venture américano-saoudienne sur le sous-sol congolais. L’argent de l’Arabie saoudite financerait le soutien américain à la RDC en échange de ses minerais. Minerais dont les revenus seraient partagés entre les parties, sans prise de risque pour les acteurs étatsuniens. Le plan s’inspire du modèle historique d’Aramco. Créée en 1933 avec l’appui de majors américaines pour l’exploitation d’hydrocarbures, la compagnie pétrolière saoudienne est aujourd’hui la première au monde.
Mais la diplomatie organisée comme un montage financier a ses limites. Début juin 2025, le prix du baril a chuté sous les 70 dollars et la machine saoudienne s’est enrayée. À part Donald Trump lors de sa visite à Riyad en mai, personne ne peut plus croire que les 600 milliards de dollars d’investissement saoudien aux États-Unis vont se concrétiser.
Article publié en partenariat avec Africa Intelligence, du groupe Indigo Publications (éditeur de XXI).
