Le messager de la proposition secrète du Congo à Trump

20 juin 2025
portrait de Kacy Grine
Sous le règne du président américain, affaires et diplomatie se mêlent étroitement. Une tendance qui permet à Kacy Grine, homme d’affaires français naviguant entre les États-Unis et l’Arabie saoudite, de se retrouver au cœur d’un coup diplomatique lancé par le chef d’État congolais Félix Tshisekedi.
6 minutes de lecture

Le jeune consultant sort de la finale de Roland-Garros, les yeux rivés à son téléphone. Caché à l’arrière d’une voiture, un supporter de l’Olympique de Marseille (OM) le filme et publie la vidéo avec ce commentaire : « Kacy Grine stp [s’il te plaît, ndlr] occupe-toi de l’OM ! » L’homme d’affaires français est au cœur des fantasmes de rachat du club de football par l’Arabie saoudite : il dispose de puissants relais au sein de l’élite du royaume et il a rencontré en 2020 le propriétaire du club, Frank McCourt. Depuis, il suffit que son concurrent qatari, le Paris Saint-Germain, brille sur le terrain pour que la rumeur des pétrodollars saoudiens resurgisse. 

Mais c’est loin de Marseille, en République démocratique du Congo (RDC) et aux États-Unis, que Kacy Grine s’active depuis début 2025. Sur un cliché posté sur son compte Instagram, le trentenaire, raie au milieu sur tignasse brune, pose à côté de Félix Tshisekedi, le président de la RDC. Derrière cette photo, légendée « Super rendez-vous avec SE [Son Excellence, ndlr] », se cache un coup diplomatique qui n’a plus rien à voir avec le monde du foot – mais toujours avec la péninsule arabique. Et, cette fois, avec Donald Trump.

3 000 milliards de dollars

Les secrets du rendez-vous sont résumés dans une missive de trois pages. Datée du 8 février 2025, elle est adressée par le chef de l’État congolais au président américain. Au même moment, les rebelles du Mouvement du 23 mars (M23) viennent de prendre possession de la ville de Goma, dans l’est de la RDC. La fulgurance de leur expansion territoriale menace de faire vaciller le pouvoir central. Son armée défaite, sans soutien extérieur, Félix Tshisekedi se résout à jouer son va-tout.

Dans sa lettre confidentielle, le président congolais qualifie donc Trump « d’homme de paix et d’honneur », avant de lui proposer « un partenariat de 3 000 milliards de dollars entre [nos] compagnies minières publiques et [votre] fonds souverain américain nouvellement créé ». En contrepartie de cet accès privilégié à son sous-sol minier, Tshisekedi espère négocier des garanties sécuritaires et un appui diplomatique pour faire pression sur le voisin rwandais, qui soutient le M23. Il assure de sa « confiance dans la capacité [du messager] à remettre cette lettre et à aider [les Américains] à prendre les mesures nécessaires pour assurer une progression efficace et sans heurts ». Le messager, est-il précisé dans le texte, s’appelle Kacy Grine.

Un habitué de Mar-a-Lago

Après avoir porté la lettre à Mike Waltz, alors conseiller à la sécurité nationale de Donald Trump, le Français pose ses valises à Mar-a-Lago, la résidence d’été du président américain en Floride. Kacy Grine y a ses habitudes. Il a déjà croisé la route de Trump lors de son premier mandat, en 2018. À l’époque, il était allé plaider la cause du prince saoudien Al-Walid Ben Talal, celui que les Marseillais rêvent de voir reprendre l’OM, qui venait d’être enfermé au Ritz-Carlton de Riyad lors de la grande purge lancée par le prince héritier Mohammed Ben Salmane (MBS).

La lettre portée par Kacy Grine parvient, au moins un temps, à raviver une mécanique diplomatique jusque-là grippée pour Kinshasa. En l’espace de quelques semaines, les représentants de la RDC se succèdent à Washington, tandis que plusieurs officiels américains font le déplacement dans la capitale congolaise. Un résultat inespéré pour Félix Tshisekedi, alors conscient de jouer la survie de son pouvoir.

Football et matches de boxe

En réalité, sous Donald Trump, la diplomatie est envisagée comme une succession de transactions. Cela a été le cas avec l’Ukraine, quand le président Volodymyr Zelensky a été forcé d’engager les ressources naturelles du pays pour être entendu. C’est le cas aussi à Gaza, le président américain évoquant un délirant projet de transformation de l’enclave détruite en station balnéaire comme condition à l’issue du conflit. 

Cette « diplomatie transactionnelle » laisse aux banquiers le champ libre pour proposer des plans géostratégiques. Ancien de la banque d’affaires française Bucéphale Finance, Kacy Grine se positionne donc pour offrir une solution financière à une impasse géopolitique en piochant dans son carnet d’adresses saoudien.

Depuis la disgrâce de son protecteur Al-Walid Ben Talal, Grine s’appuie sur Turki Al-Sheikh, le conseiller royal chargé du « divertissement », et notamment de la ligue de foot ou de matches de boxe à retentissement planétaire. C’est notamment grâce à cet influent sponsor que le Français dispose d’accès au Public Investment Fund (PIF), le fonds souverain saoudien, qui doit financer les projets pharaoniques du prince MBS pour l’après-pétrole

Début juin, la machine s’enraye

Et, puisque chacun cherche son gain – Trump à faire un coup d’éclat diplomatique, Tshisekedi à survivre à la crise sécuritaire de son pays, MBS à sortir de sa dépendance au pétrole –, Grine propose une joint-venture américano-saoudienne sur le sous-sol congolais. L’argent de l’Arabie saoudite financerait le soutien américain à la RDC en échange de ses minerais. Minerais dont les revenus seraient partagés entre les parties, sans prise de risque pour les acteurs étatsuniens. Le plan s’inspire du modèle historique d’Aramco. Créée en 1933 avec l’appui de majors américaines pour l’exploitation d’hydrocarbures, la compagnie pétrolière saoudienne est aujourd’hui la première au monde.

Mais la diplomatie organisée comme un montage financier a ses limites. Début juin 2025, le prix du baril a chuté sous les 70 dollars et la machine saoudienne s’est enrayée. À part Donald Trump lors de sa visite à Riyad en mai, personne ne peut plus croire que les 600 milliards de dollars d’investissement saoudien aux États-Unis vont se concrétiser. 

Article publié en partenariat avec Africa Intelligence, du groupe Indigo Publications (éditeur de XXI).

le navire Rhosus devant un homme en costume et cravate
Explosion du port de Beyrouth : révélations sur le rôle d’un discret consultant français 
Un mystérieux contrat d’analyse sismique a servi de couverture à l’importation du nitrate d’ammonium qui a explosé dans la capitale du Liban en 2020.
façade du Collège de France dans une goutte de pétrole
Pour 2 millions, le Collège de France perd le droit de critiquer Total
L’institution doit s’abstenir de tout propos susceptible de porter atteinte à l’image de la firme pétrolière, mécène de sa chaire Avenir Commun Durable.
Explorer le thème
Afrique
chien dans une piscine
Juillet 2025
Luxe canin au pays des inégalités
En Afrique du Sud se développent des hôtels haut de gamme pour chiens. Le photographe Tommy Trenchard donne à voir l’absurdité de ces palaces.
Récit photo  |  Juillet 2025 | Aventures
homme tenant un revolver devant un tapis rouge
Mai 2025
Le marié aux armes à feu
Le jeune photographe Mosab Abushama dresse le portrait troublant d’un de ses amis au jour de son mariage, dans un Soudan en pleine guerre civile.
Coup d’œil  |  Mai 2025 | Géographies
ombre d’un jet privé planant sur un homme en costume tenant à la main un sac plastique
Mai 2025
Jet privé et argent sale : Dassault au cœur d’une affaire d’État
Sous l’œil complice de l’entreprise française, un réseau de blanchiment aide le président congolais à acheter discrètement un avion de luxe.
Enquête  |  Mai 2025 | Pouvoirs
dessin d’un contrebandier avec une cagoule faite de plantes et de fleurs
Mai 2025
Corruption et braconnage chez les cartels du cactus
En Afrique du Sud, des gangs s’attaquent aux succulentes, ces plantes décoratives prisées dans le monde entier. Un trafic aussi lucratif que ravageur.
Enquête  |  Mai 2025 | Écosystèmes
croissant algérien et coq français surveillés par un homme à moitié masqué
Mai 2025
Entre Paris et Alger, le garagiste-diplomate dépassé par les espions
Vedette déchue des Grandes Gueules, proche du président algérien, Mehdi Ghezzar se voyait bien jouer les facilitateurs. Mais la situation dégénère…
Portrait  |  Mai 2025 | Pouvoirs
mine de lithium vue du ciel
Mai 2025
Course dévastatrice aux minerais d’avenir
Le photographe Davide Monteleone explore les sites dans lesquels les industries viennent puiser les ressources indispensables à la transition énergétique.
Récit photo  |  Mai 2025 | Écosystèmes
Décembre 2024
À la poursuite de l’hydrogène vert
De l’Espagne à la Mauritanie, le photographe Justin Jin a exploré les balbutiements d’une énergie renouvelable prometteuse. Une révolution ?
Récit photo  |  Décembre 2024 | Écosystèmes
Décembre 2024
Les illusions perdues des Blancs sud-africains
Dans la banlieue de Johannesburg, plongée au cœur d’une communauté à la dérive, avec le photographe Lindokuhle Sobekwa.
Récit photo  |  Décembre 2024 | Géographies
Octobre 2024
Paranoïa à Addis-Abeba
Accusé de « conspirer en vue de créer le chaos » en Éthiopie, le journaliste Antoine Galindo a passé une semaine en détention. Il raconte.
Témoignage  |  Octobre 2024 | Géographies
Septembre 2024
Soixante-dix ans plus tard... Ferdinand de Lesseps, nouvelle égérie du canal de Suez
Pour attirer les investisseurs, le président égyptien a décidé de réhabiliter le père du canal de Suez, un Français longtemps honni.
Reportage  |  Septembre 2024 | Pouvoirs