« En Ukraine, tout le monde a un prix et tout s’achète. » Après avoir combattu sur tous les fronts depuis l’invasion russe de février 2022, « Loki » a décidé de raccrocher suite à une blessure. Et de se lancer dans le commerce très lucratif des technologies russes et occidentales capturées sur le champ de bataille. Notamment des drones, dont il est fin connaisseur – son pseudo vient d’ailleurs d’un modèle de haute précision. Il peut compter sur son large réseau d’amitiés tissées dans les tranchées pour collecter ses « trésors de guerre ». Et les vendre.
Pour ce commerce atypique, il a acheté un ancien supermarché, au cœur de Kiev, sur la rive est du Dniepr, au milieu d’immenses tours grisâtres héritées de l’ère soviétique. Depuis fin 2024, Loki s’est constitué un vaste butin de drones tactiques en service dans l’armée russe – encore fonctionnels, comme nous avons pu le constater.
Terminal pirate
À l’entrée de l’entrepôt trônent ainsi cinq versions différentes du drone kamikaze Geran-5 (ex-Shahed-136, de facture iranienne). Ce système possède une peinture spéciale absorbant les ondes radar, et intègre une version pirate du terminal de réception Internet Starlink, commercialisé par Elon Musk, pour mieux s’orienter en territoire ukrainien. Il s’agit, selon Loki, de son produit d’appel auprès de sa clientèle occidentale.
Celle-ci est constituée principalement, dit-il, de services de renseignement et d’industriels de l’armement occidentaux en quête de technologies russes en bon état de conservation. Le Säpo – renseignement suédois – est le dernier en date à avoir poussé la porte de son magasin clandestin. Loki affirme lui avoir vendu un Geran-5 retrouvé dans un champ quelques semaines auparavant. Il lui a été cédé pour 10 000 dollars par l’un de ses amis officiers d’une unité de défense antiaérienne positionnée aux abords de la capitale. Les Suédois l’ont payé « un très bon prix », se plaît-il à dire, sourire aux lèvres.
Les services spéciaux français font également partie de sa clientèle. Et se montrent friands des dispositifs de communication russes. Les Américains, quant à eux, raffolent des drones occidentaux que Loki affiche de temps en temps au catalogue – comme en ce moment un FlyEye du polonais WB Electronics, ainsi qu’un DT-46 du français Delair – qu’ils utilisent à des fins d’espionnage industriel, décortiquant et analysant les composants.