C’était le fleuron londonien de la high street – ces voies commerçantes dédiées aux grandes enseignes de prêt-à-porter bon marché, où le commun des mortels s’approprie les tendances des défilés. Dans les années 2000, Oxford Street voyait les files d’attente s’allonger devant Selfridges, Liberty, Primark, et surtout Topshop. Pour les étrangers, l’emblématique marque made in UK avait la saveur de l’impertinence britannique. L’avenue mythique, en plein centre de la capitale, pesait alors environ 5 % du PIB de la ville, selon la chambre de commerce locale.
Elle a désormais des airs postapocalyptiques. « Quand quelqu’un me dit qu’il veut aller à Oxford Street, je me demande ce qu’il lui prend », plaisante Anna Newtown, blogueuse mode britannique. L’épidémie de covid a fait disparaître les touristes. En 2021, la marque en ligne Asos a racheté Topshop et fermé toutes ses boutiques dont la plus fréquentée, celle d’Oxford Street. « Un vrai deuil », confesse Anna Newtown. Gap, Debenhams, House of Fraser ont déserté. En 2023, l’e-commerce de mode représentait environ 15,3 % des ventes de détail en Europe, d’après une étude Shopify. Et pourrait atteindre 20,4 % d’ici 2028, selon les projections.
Façades acidulées et structures opaques
Les boutiques de cigarettes électroniques, les candy shops – qui proposent des bonbons importés des États-Unis – et les magasins vides ont pris le relais. À tel point que le Westminster City Council, le conseil du quartier où se situe Oxford Steet, a commandé un rapport en 2023. Celui-ci fait état d’une « prolifération de boutiques souvent liées à des chaînes de propriété obscures ». D’après les auteurs de ce document, « derrière leurs façades acidulées, on découvre des structures opaques, des directeurs de paille ignorant même avoir été désignés comme responsables, et un enchevêtrement de sociétés qui rebondissent d’un pays à l’autre, brouillant à dessein la traçabilité des fonds ». Une vingtaine des candy shops d’Oxford Street font l’objet d’une enquête pour fraude et blanchiment.
Le phénomène se répand en Europe. Début 2025, le président de Villes de France – l’association des villes moyennes – Gil Avérous appelait le gouvernement à « doter les élus d’un pouvoir de maîtrise de la typologie des commerces qui s’installent » afin de lutter contre l’implantation de commerces servant selon lui « au blanchiment d’argent issu de la drogue ».
Sauver la mode britannique
Quant au maire de Londres, Sadiq Khan, il s’inquiète depuis dix ans de la dégradation de sa grande avenue. « La réputation d’Oxford Street a été bâtie sur un modèle obsolète. Il faut lui redonner du sens », note Cathy Parker, professeure d’urbanisme à l’université de Manchester, régulièrement consultée par la Mayoral Development Corporation, une entité publique chargée de planifier, coordonner et accélérer le développement urbain à Londres. Créée début 2025, celle-ci fonctionne comme un conseil de crise au sujet d’Oxford Street, tant la désertification de la rue est devenue un sujet électrique. Entre la New West End Company – représentant les intérêts des commerces du secteur –, le Westminster City Council et les boutiques, « chacun défendait ses intérêts personnels sans s’intéresser à ce que voulaient les riverains », note Cathy Parker, qui plaide pour une réhabilitation ne reposant pas uniquement sur le commerce de mode.
À l’issue d’une consultation publique, Sadiq Khan a tranché en juin 2025, contre l’avis du conseil de quartier mais avec l’aval du gouvernement britannique : il a choisi la piétonnisation. Car ce n’est pas seulement une artère qu’il faut sauver. En même temps que la fréquentation de l’avenue, c’est la mode britannique et son influence qui ont chuté. À tel point que le British Fashion Council a annulé la fashion week de l’été, optant pour un showroom à Paris afin de mieux soutenir à l’étranger l’image de la mode made in UK.