Et dire que c’était la route de tous les espoirs. Droite comme un I au milieu du désert, ralliant Agadez, la ville la plus importante du Nord du Niger, à Arlit. Deux cent cinquante kilomètres sortis du sable pour rendre le pays riche. « C’est devenu le trajet le plus fastidieux de tout notre Sahara, ça secoue du début à la fin, on doit rouler lentement pour les suspensions, et les camions creusent un peu plus les trous à chaque passage », déplore aujourd’hui Sidi Abderrahmane.
Le chauffeur connaît bien cette région désertique et montagneuse au sud de l’Algérie et à l’est du Mali. Il la sillonne depuis plus de vingt ans avec son pick-up Toyota Hilux. Le jeune homme est né à Arlit à l’orée des années 1990, quand la ville prospère : un gisement d’uranium découvert après la décolonisation y a attiré la France, qui a construit dans les années 1970 pêle-mêle deux mines, des restaurants, un centre équestre, une piste d’atterrissage et un terrain de pétanque… le « Petit Paris », disait-on à l’époque.
La RN25 est devenue une fierté nationale : c’était le seul goudron à des centaines de kilomètres à la ronde.
L’exploitation des gisements a créé des emplois. Le père de Sidi Abderrahmane a travaillé pour la Société des mines de l’Aïr, Somaïr – détenue à 64 % par Orano, anciennement Areva –, où il a été contremaître pendant une vingtaine d’années. « À l’époque, tout nous souriait », se souvient l’actuel maire d’Arlit, Abdourahamane Maouli. Un vieux projet colonial de route transsaharienne reliant la Méditerranée à l’Afrique de l’Ouest avait alors été relancé. Le tronçon Agadez-Arlit en faisait partie. Des dizaines de camions de yellowcake allaient pouvoir y circuler, et le pays exporter son uranium. La RN25 est devenue une fierté nationale : c’était le seul goudron à des centaines de kilomètres à la ronde. Au grand dam des éleveurs de chameaux qui, avec l’installation d’industries, ont perdu des pâturages riches et craignent la pollution des sols.
Mais le Niger rêvait grand et entendait transformer une économie dominée par l’agriculture et l’élevage en développant l’industrialisation. Las. Cinquante ans plus tard, il fait toujours partie des trois pays les plus pauvres du monde, selon les classements de l’ONU. Les deux mines d’uranium n’ont jamais vraiment bénéficié aux Nigériens. Aux coups d’État – cinq en cinquante ans – ont succédé deux rébellions dans la région d’Agadez, tandis que les enlèvements d’Al-Qaeda ont dissipé les rêves de prospérité. La route RN25, elle, subsiste. Mais dans quel état…
La New York du désert
Avant, Agadez-Arlit, c’était l’affaire de quelques heures tout au plus. Aujourd’hui, pour parcourir les 250 kilomètres qui séparent les deux villes, Sidi Abderrahmane met une journée : départ à l’aube avant que les températures grimpent – parfois à plus de 45 °C –, arrivée le soir avant que la nuit enveloppe le désert et charrie son lot de mauvaises rencontres. À l’arrière de son pick-up, il convoie parfois des humains, parfois des marchandises, parfois légales, parfois pas. « Tant qu’on me paie, je transporte », sourit-il sous son turban. Les camions de yellowcake, eux, ne circulent plus. Finie la poudre jaune d’uranium concentré. Finis les expatriés français. Orano a fermé une mine, tandis que l’autre, déjà au ralenti auparavant, n’exporte plus rien depuis le coup d’État de juillet 2023.
Arlit connaît pourtant toujours une forte activité. Avec ses quelque 100 000 habitants au dernier recensement, elle est devenue un carrefour où se côtoient chercheurs d’or par milliers, autant de migrants en route ou rejetés par l’Algérie voisine, et des bandits en tous genres qui s’en prennent aux voyageurs. La ville se rêvait en New York du désert, la voilà devenue cité mal famée du Far West saharien. Les autorités circulent désormais accompagnées d’une escorte militaire sur la RN25 jamais rénovée.
À côté du goudron qui disparaît sous le sable et les nids de poule, les traces des voitures ont creusé des dizaines de pistes parallèles. Vue du ciel, on pourrait croire à une quatre-voies filant à travers le désert.