Dans la baie de Toulon, il ne fait pas beau ce jour de juin 2024. Emmaillotée dans sa combinaison de néoprène, la photographe Kasia Strek se jette pourtant à l’eau pour suivre les plongeurs de l’organisation Ocean Quest, qui inventorient et « replantent » des coraux en Méditerranée. Quelques mois plus tôt, la photojournaliste polonaise spécialisée dans les questions environnementales et les droits des femmes recevait un appel du journal Le Monde pour faire une série de reportages sur la crise écologique. À une condition : passer son brevet de plongée. « Je n’avais jamais plongé de ma vie, mais je me suis toujours débrouillée, je n’avais pas d’inquiétude. » Des bisons de Roumanie aux cultures de coton biologique en Inde, en passant par les mangroves du Bénin, la photographe est à l’aise sur tous les terrains.
Pourtant, ce jour-là, dans les eaux de Toulon, elle est prise de vertige : « Dans mon travail, j’aime bien connaître mon sujet pour contrôler la situation et anticiper les images. Là, je ne pouvais rien prévoir et la relation à mon appareil était très différente ! J’avoue, je ne savais pas comment j’allais m’en sortir… » Être photographe, c’est précisément aller là où nous ne sommes jamais allés, franchir les frontières. Kasia Strek le sait et, malgré sa peur, s’accroche. La fondatrice d’Ocean Quest France, Sandrine Treyvaud, lui prête un petit appareil le temps de s’habituer à ces nouvelles conditions : « J’y ai mis un œil et j’ai tout oublié, le monde en haut, les bruits, la peur. J’ai découvert un univers incroyable. C’était un enchantement. »
Un abri pour 25 % de la vie marine
C’est ce monde en danger, en particulier les récifs coralliens, qu’Ocean Quest défend aux côtés d’autres ONG. Indispensables aux écosystèmes des océans, ces récifs sont aujourd’hui menacés par la pollution, le tourisme de masse, la surpêche, le braconnage et le réchauffement climatique. Ils forment pourtant une barrière naturelle parfaite contre les cyclones, les tempêtes et l’érosion, et abritent 25 % de la vie marine, selon le WWF. Constitués de polypes – de minuscules animaux marins cousins des méduses –, ils vivent en colonies, formant des arborescences. Devant l’objectif du boîtier étanche que Kasia Strek a vite maîtrisé, les plongeurs de l’ONG nagent dans les herbiers de posidonie à la recherche des rochers où ils observent, répertorient et mesurent les coraux.

Face à des colonies malades, ils tâchent d’extraire les polypes encore en bonne santé pour les « replanter » dans des sites plus favorables. « L’équipe de Sandrine suit une méthode mise au point par Anuar Abdullah, un océanographe malaisien, explique la photographe. Il n’utilise que des substrats naturels, comme des rochers, et non des structures artificielles, pour “coller” des bouts de coraux cassés et leur permettre de se développer à nouveau. » Après quelques années de « replantation », les coraux guéris se multiplient. C’est un travail lent : la colonie s’agrandit seulement de quelques millimètres par an. Mais depuis 2017, Ocean Quest a « replanté » environ 800 coraux en Méditerranée.
À la surface, le Centre scientifique de Monaco, que Kasia Strek a exploré également, a développé l’un des laboratoires pilotes dans le monde pour l’étude de la physiologie corallienne et les réponses des coraux face aux stress environnementaux. Depuis trois décennies, cette « arche de Noé » conserve plus de 80 espèces de coraux et leurs écosystèmes, menacés d’extinction sous le coup de l’acidification des océans. Un effort que tâche de transmettre Kasia Strek dans ses clichés. « J’aimerais que mes photos rapprochent les gens de cet univers caché et magique que nous ne connaissons pas. Pour qu’on soit plus nombreux à le protéger. »









