En coulisses  |  Géographies

Un président trahi par son camarade de lutte

Les journalistes Joan Tilouine et Paul Deutschmann, auteurs de notre feuilleton « Anatomie d’une débâcle française », racontent leur lien de longue date avec le président déchu du Niger, toujours retenu en otage par la junte.
Dans les coulisses du récit Anatomie d’une débâcle française au Niger

Depuis le 26 juillet 2023, Mohamed Bazoum est retenu en otage, avec son épouse, Hadiza. Leur fils, Salem, a pu recouvrer la liberté début janvier 2024 dans le cadre d’une négociation menée par le Togo, où il vit désormais en résidence surveillée. Prisonniers dans leur propre demeure à Niamey, les Bazoum vivent sous la coupe du général Abdourahamane Tchiani dont la maison jouxte la leur dans l’enceinte présidentielle. De son balcon du premier étage, le président renversé peut apercevoir le salon de son geôlier et de facto chef de l’État. 

Au lendemain du putsch, nous parvenions encore à échanger directement ou par le biais de proches avec Mohamed Bazoum. Il se disait serein et optimiste. Au fil des mois, les échanges se sont raréfiés avant de s’interrompre. Les preneurs d’otage ont fini par confisquer ses smartphones. 

Nos premiers échanges avec lui remontent à une dizaine d’années. Il était alors chef de la diplomatie, puis ministre de l’Intérieur sous la présidence de son ami Mahamadou Issoufou. À chaque fois que nous allions à Niamey, la capitale du Niger, nous lui rendions visite. Il nous faisait signe lors de ses passages à Paris. Il nous est arrivé de le retrouver à Addis-Abeba ou à Alger, en marge de cérémonies et de sommets.

Le soir, les discussions sur le Sahel, l’Afrique et ce monde tourmenté se tenaient sous les étoiles.

Simple et affable, il recevait volontiers au cours de l’été dans son ranch près de Zinder, son fief natal. Lors de pérégrinations dans cette partie du Niger, il nous est arrivé d’y faire halte. Là, il aimait se ressourcer parmi les siens, flâner dans sa plaine giboyeuse et contempler ses vaches azawak, quand il ne se plongeait pas dans ses livres, qu’il dévorait par dizaines chaque mois. Le soir, les discussions sur le Sahel, l’Afrique et ce monde tourmenté se tenaient sous les étoiles autour de mets délicieux et de lait de chamelle. 

En 2021, « Bazoum », comme tout le monde l’appelle, est devenu président de son pays. Lors de la cérémonie d’investiture, un échantillon du gotha du Sahel s’est rassemblé à Niamey. Des chefs traditionnels en tenue d’apparat côtoyaient ce jour-là des milliardaires du nord du Nigeria, des caciques de rébellions passées ou futures, des présidents, des anciens serviteurs de Mouammar Kadhafi, des grands trafiquants, des libérateurs d’otages français ou des espions. Tous l’avaient, à un moment de leur vie, fréquenté.  

Bazoum est resté simple et affable. Il a conservé son ranch et ses discussions étoilées. Mais une fois président, il avait développé une aversion : il ne supportait pas d’être questionné sur l’influence persistante de son prédécesseur Mahamadou Issoufou. Il ne pouvait envisager la trahison de son si cher ami et plus vieux « camarade » de lutte pour la démocratie, dont le rôle trouble s’est peu à peu révélé au lendemain du putsch. Déjà en 2022, quand nous avions enquêté, pour Africa Intelligence, sur les plans personnels d’Issoufou et certains de ses circuits financiers secrets, pressentant que celui-ci opérait en solitaire, Bazoum nous avait sermonné. « Il sait que je suis tout sauf un pantin ! », s’était-il énervé en nous reprochant nos soupçons. Les moyens que nous avons d’entrer en contact avec lui aujourd’hui ne nous permettent pas de savoir s’il a revu sa position.

Explorer le thème
France
vue brouillée de l’hémicycle du Palais-Bourbon
Novembre 2025
Flou artistique et odeur de Bacon à l’Assemblée nationale
En superposant des photos du Parlement, Denis Allard convoque les portraits torturés de Francis Bacon pour refléter le « bazar » de la politique française.
Coup d’œil  |  Novembre 2025 | Pouvoirs
portrait de Sophie Bouillon
Novembre 2025
« On sait que ça va pas être possible »
Une chronique de Sophie Bouillon – où l’on parle du Nigeria, d’optimisme, et d’une jeunesse française qui doute.
D’un trait  |  Novembre 2025
Prime, Iris Alameddine et Kameto
Novembre 2025
Derrière la guerre fratricide de la Karmine Corp, les rêves de grandeur d’une banquière
Iris Alameddine est aux manettes de luttes d’influence au sein du club d’esport le plus populaire de France. Et les griefs s’accumulent. Nos révélations.
Enquête  |  Novembre 2025 | Algorithmes
portrait de James Stone
Octobre 2025
Le très discret magnat américain derrière Gabriel Zucman
James Stone, assureur millionnaire, soutient l’idée d’une taxe sur les milliardaires. Il est de ceux qui financent les recherches de l’économiste français.
Portrait  |  Octobre 2025 | Pouvoirs
portrait de Ramsès Kefi
Octobre 2025
La minute papillon des ministres de Macron
Une chronique de Ramsès Kefi – où l’on parle de l’Olympique de Marseille, d’une affaire de sextape à Saint-Étienne et de cookies au chocolat blanc.
D’un trait  |  Octobre 2025
écrivains, religieux et manifestants autour d’une abbaye
Octobre 2025
À Lagrasse, Mao, le Christ et leurs deux apôtres
L’écrivain et le prêtre auraient pu être amis. Ils racontent leur abbaye scindée entre intellos de gauche et chanoines aux accointances réacs.
Reportage  |  Octobre 2025 | Aventures
militaire et poignée de main sur fond de drapeau européen
Octobre 2025
Une taupe à Bruxelles pour un bunker à 111 millions en Somalie
L’ex-général français a décroché un des plus gros projets européens en 2016. Mais après neuf ans d’enquête, il est renvoyé devant le tribunal.
Enquête  |  Octobre 2025 | Pouvoirs
portrait de Julie Martinez sur fond d’Assemblée nationale
Septembre 2025
Julie Martinez, une « hobbit » socialiste made in Palantir
La nouvelle porte-parole du PS exerce chez le géant américain de la surveillance numérique. Portrait d’une femme qui ne craint pas les contradictions.
Portrait  |  Septembre 2025 | Pouvoirs
dessin d’un village avec des vaches et une mairie en flammes
Septembre 2025
Montfleur, un « petit Chicago » au cœur du Jura
Menaces de mort, tombes profanées, mairie incendiée… XXI raconte la crise qui enfle depuis dix ans dans ce petit village. Comme une démocratie qui vacille.
Enquête  |  Septembre 2025 | Pouvoirs
deux hommes de dos face à la mer avec un bateau militaire
Septembre 2025
Macron et les espions, de la fascination à l’échec
Le président préfère les hommes de l’ombre aux diplomates. Une stratégie téméraire, qui a mené à toute une série de revers en politique étrangère.
Enquête  |  Septembre 2025 | Pouvoirs