En coulisses  |  Pouvoirs

« Des liftings visibles depuis le trottoir d’en face »

Écrit par Camille Drouet Chades
Le photographe Dougie Wallace raconte comment il a traqué les ultrariches dans les rues de Londres.
Dans les coulisses du récit Les ultrariches descendent dans la rue

« Si vos photos ne sont pas assez bonnes, c’est que vous n’êtes pas assez près. » Dougie Wallace pourrait faire sienne la devise de Robert Capa. Il semble en préférer une autre : « On ne prend pas les meilleures photos en studio, on les fait dans la rue. Le reste, c’est de la merde. » C’est en tout cas ce que le spécialiste du documentaire social assénait goguenard dans un reportage que la BBC a consacré à sa série « Harrodsburg » en 2017.

Commencé deux ans auparavant, le projet est « un safari qui explore en gros plan la vie sauvage des ultrariches dans les quartiers de Kensington et Chelsea ». Son terrain de chasse : les trottoirs qui bordent les vitrines Gucci, Versace ou Valentino de Harrods, le temple du luxe britannique. Chapeau vissé sur la tête et appareil à la main, le photographe a arpenté la zone la plus chère de Londres et piégé avec son objectif tant les vieux aristocrates installés ici depuis plusieurs générations que les nouveaux arrivants aux comptes replets de pétrodollars. Sa méthode : repérer ses proies à leurs sacs de courses, leurs lunettes de soleil siglées, leur voiture de luxe ou « leurs liftings visibles depuis le trottoir d’en face » ; puis, tel un paparazzi, déclencher sans autorisation, à quelques centimètres du visage, son appareil équipé d’un double flash. Résultat : une satire sociale de la richesse gonflée au botox, dopée au shopping, enivrée aux rugissements des grosses cylindrées.

« Un énorme coffre-fort »

En moquant les ultrariches, l’Écossais brosse finalement le portrait d’une société aux inégalités grandissantes. Son incursion dans « ce monde parallèle dans lequel vit 1 % de la population » a fait suite à un précédent projet où il juxtaposait des images d’usagers des transports. D’un côté, les passagers des lignes de bus du Londres huppé ; de l’autre, ceux du Glasgow défavorisé de son enfance. « On voit les effets des privations et des différences de conditions de vie sur les visages », expliquait alors le photographe au quotidien britannique The Guardian. En se concentrant ensuite sur les plus riches, Dougie Wallace a cherché à « illustrer les conséquences du déferlement des richesses de ceux pour qui Londres n’est qu’un énorme coffre-fort ».

Pendant deux ans et demi, cet ancien militaire a pris des milliers de photos. Des instantanés peuplés de visages grimaçants, de maquillages outranciers, mais aussi de doigts d’honneur, de mouvements de recul et de regards agressifs, qu’il postait régulièrement sur son site internet. Sur les réseaux sociaux ou dans la presse des pays du Golfe, ses images ont fait l’objet de vives critiques pour diffusion sans autorisation. Mais l’Écossais s’amuse de la controverse : « Ils viennent ici parce que la loi et leur argent les autorisent à faire ce qu’ils veulent. Eh bien, la loi dit aussi que je peux les photographier comme je veux. »

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