« Je voulais des images dont on ne détournerait pas immédiatement le regard »

Écrit par Camille Drouet Chades

Ne comptez pas sur David Chancellor pour se ranger de façon manichéenne du côté des détracteurs ou des défenseurs de la chasse aux trophées, ni pour montrer du doigt les communautés locales qui tirent des revenus des safaris. Avec sa série Hunters, il veut « explorer la relation complexe des humains avec la nature », « faire réfléchir », « créer un espace pour un dialogue nécessaire ». Et même si – après des années à pister ses adeptes – il admet « ne pas comprendre quelle raison peut pousser un individu à vouloir abattre un animal sauvage », le photographe britannique assume ne fournir que d’infimes détails sur ses modèles. « Ne pas les nommer est essentiel pour moi : peu importe qu’ils s’appellent John ou Steve, qu’ils soient avocat ou chirurgien. Ce sont avant tout des individus qui choisissent de tuer. Nous concentrer sur leur identité nous éloigne d’une réflexion globale. Je veux que leurs portraits aient une portée plus générale. »

Posés, cadrés de face et réalisés sur des pellicules argentiques de moyen format à l’aide d’un trépied, ces portraits évoquent les daguerréotypes de la fin du XIXe siècle qu’affectionnait alors l’aristocratie britannique. Une façon visuelle de dénoncer « l’attitude colonialiste de la chasse », explique David Chancellor : « Pour se donner bonne conscience, “les chasseurs blancs” du XXIe siècle offrent la viande de leurs prises aux communautés locales. Bien souvent il s’agit de viande qu’elles ne consomment pas, ou qu’elles sont capables de chasser elles-mêmes. On se croirait en 1920. » Lorsque les premières photos du projet Hunters ont été publiées dans un ouvrage éponyme en 2012, David Chancellor y accole la nouvelle Shooting an Elephant de George Orwell. Dans ce texte, largement autobiographique, Orwell fait de l’agonie d’un pachyderme abattu par un officier blanc sous la pression de la foule birmane une métaphore de la tyrannie coloniale.

D’autres trophées

À l’inverse des lignes sanguinolentes de l’auteur de 1984, il y a peu de sang sur les photographies de David Chancellor : « Je voulais des images dont on ne détournerait pas immédiatement le regard, qui puissent générer un dialogue, une réflexion, mais qui seraient aussi des portraits que ces chasseurs voudraient garder en souvenir ou utiliser comme photos de profil Facebook », analyse-t-il. D’autres trophées, en somme. « Presque systématiquement, avant que j’appuie sur le déclencheur, quelqu’un venait pour laver l’animal, retirer le sang de sa gueule, le positionner, faire en sorte qu’on ne voie pas l’orifice de la balle, en d’autres termes, effacer tous les signes de la mort. Cela m’a beaucoup interrogé. »

Après avoir sillonné l’Afrique,le photographe a poursuivi son travail en immortalisant les chasseurs chez eux avec leurs trophées empaillés « dans des salles souvent prévues à cet effet, avec des fauteuils d’où contempler confortablement des animaux que l’on vient de tuer mais que l’on a confiés à un taxidermiste pour qu’ils aient l’air le plus vivant possible ». À son grand étonnement, les portes s’ouvrent moins facilement que celles des jeeps des safaris. « Ce sont des espaces sacrés où, très souvent, les autres membres de la famille n’ont pas accès », observe David Chancellor, qui poursuit toujours sa série.

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