Cette passion pour la préhistoire est récente chez moi, je dirais qu’elle date des confinements. En faisant mon footing dans le kilomètre autorisé, je me suis mise à écouter des podcasts sur les premiers êtres humains, notamment les Cours du Collège de France de Jean-Jacques Hublin, que j’ai trouvés captivants. Je croyais cette lubie singulière, pas du tout : le paléoanthropologue fait salle comble désormais et la librairie Compagnie à Paris est obligée de lui demander à l’avance la bibliographie qu’il compte partager durant ses interventions, afin de pouvoir assouvir les pulsions consuméristes des étudiants à tête blanche quand ils sortent de sa classe. Les livres et documentaires sur le sujet se multiplient. La préhistoire fascine. À moins que ce ne soit l’idée que l’on s’en fait, car la période est vaste et recouvre des situations diverses.
Il faut dire que, ces dernières années, tout s’est accéléré. Au carrefour de différentes disciplines, les découvertes récentes font voler en éclat beaucoup de ce qui nous a été enseigné jusqu’à présent au collège ou au lycée. Il nous faut aujourd’hui renoncer à la succession chronologique : australopithèques, Homo Habilis, Homo Erectus, et – enfin ! – Homo Sapiens. L’avancée dans le temps ressemble plutôt à un réseau de ruisseaux, avec des impasses, des croisements et des fusions. En Eurasie, Néandertal, Sapiens et Denisova ont ainsi cohabité plusieurs dizaines de milliers d’années ; Néandertal et Sapiens ont connu des évolutions parallèles : leur outillage s’est amélioré, ils ont fabriqué des parures et construit – il y a 120 000 ans – des sépultures. Sans que l’on sache pourquoi Sapiens est finalement demeuré seul.
Flambeau familial
Il faut dire que la discipline est récente. Lascaux, Chauvet, Cosquer… Des histoires de hasard, d’hommes et plus rarement de femmes. On peut d’ailleurs voir là une raison, également, à ce nouvel intérêt pour ce qui nous a précédés. Quel a été le rôle des femmes dans ces époques lointaines ? Que nous racontent par exemple les vénus aux formes généreuses, retrouvées sur de nombreux sites archéologiques ? À quoi servaient-elles, avec leur silhouette épurée qui les rapproche d’œuvres d’art moderne ? Quid des empreintes de main retrouvées à des milliers de kilomètres de distance les unes des autres et qui pourraient être celles de femmes ? Comment déterminer ce qui relève du symbolique et de la représentation d’une réalité ? Comment ne pas – trop – projeter ce que nous connaissons aujourd’hui des échanges entre communautés, des déplacements, de nos échelles de temps, sur ce que nous découvrons ?
Après les confinements, je suis allée voir des expositions sur le sujet, j’ai fait un crochet par Tautavel au cours d’une randonnée, passé quelques samedis au musée de l’Homme rénové. Aussi quand une amie, la photographe Hélène David, m’a parlé d’une femme qui avait hérité d’une grotte préhistorique, abritant des dessins sur ses murs, j’ai foncé. Les ancêtres de Joëlle Darricau sont basques depuis plusieurs générations, et son arrière-grand-père possédait la colline de Gaztelu sur laquelle les cavités ont été mises au jour. Après la mort de son père, elle a repris le flambeau familial, s’enthousiasmant pour les trouvailles récentes sur la préhistoire, accueillant des équipes scientifiques, tissant des liens avec d’autres propriétaires de sites.
Elle a également introduit une dimension culturelle dans son approche des lieux. Dans l’une de ces grottes ont été retrouvés des objets fabriqués « en série », notamment des flûtes : quels sons celles-ci produisaient-elles ? Pour tenter une réponse, Joëlle Darricau a travaillé avec des musiciens. Mais je voulais aussi la questionner sur ce que ça lui apporte d’avoir une grotte sur sa propriété, de pouvoir s’y balader quand elle est fermée au public, quels liens avec des ancêtres aussi lointains cela peut créer… Nous avons passé ensemble une journée. Hors du temps.