Dans les quartiers nord de Marseille, le collège Jacques-Prévert accueille une majorité d’élèves en grande difficulté. Classé REP+, il dispose de moyens supplémentaires pour tenter de contourner un ascenseur social en panne. Le photographe Anthony Micallef y a passé l’année 2022-2023. Il raconte comment Djaloud, Ilian, Jade et Azali luttent contre un échec trop souvent annoncé.
« Comme à chaque rentrée, Rodrigue Coutouly, le principal du collège Jacques-Prévert, accueille les élèves de sixième et leurs parents. Ancien employé de l’Office national des forêts (ONF), il a développé de nombreux dispositifs pour “lier les populations ”. Autrement dit, pour sortir de l’isolement les 600 élèves de son établissement, situé dans les quartiers nord de Marseille, à proximité de la cité de Frais-Vallon et de ses quatorze barres en béton. Classé REP+ (réseau d’éducation prioritaire plus), le collège bénéficie de moyens conséquents et de personnels supplémentaires. » « Djaloud, 11 ans , est le troisième d’une fratrie de cinq enfants, nés en France de trois pères différents. Sa mère, Amina, a travaillé comme caissière dans un hypermarché. Elle est actuellement au chômage. “Je leur parle de la vie que j’ai eue aux Comores et de ceux qui n’ont rien. Pour qu’ils comprennent leur chance. ” Djaloud n’a jamais connu son père, dont il ne reste qu’une seule photo dans l’album familial. En revanche, il voit souvent son beau-père, qui travaille dans le BTP et le traite comme son fils. » « Djaloud est buteur dans l’équipe de foot de Frais-Vallon en benjamin : “Plus tard, j’aimerais être footballeur au Real Madrid ou alors pilote de motocross. Sinon, je me verrais bien acteur, pour pouvoir changer de style et me mettre dans la peau d’autres personnages.” Il adore Will Smith, notamment son rôle dans Hancock , où il incarne l’un des très rares super-héros noirs. » « Djaloud et son ami Imran s’apprêtent à passer le test de natation proposé en début d’année aux sixièmes. Dans les quartiers nord de Marseille, 60 % des jeunes de moins de 16 ans ne savent pas nager, contre une moyenne nationale de 15 %. » « Le “micro-collège” est une classe aux horaires aménagés pour les décrocheurs souffrant de phobie scolaire, de harcèlement ou de problèmes familiaux. Lors d’une journée d’intégration, les collégiens sont emmenés sur l’île du Frioul, à une vingtaine de minutes du Vieux-Port en navette maritime. Un trajet effectué par des centaines de touristes chaque jour, mais que la plupart de ces élèves n’ont jamais fait. Ils se rendent rarement dans le centre-ville, alors que la cité de Frais-Vallon est – fait rare dans les quartiers nord de Marseille – desservie par le métro. Les frontières urbaines sont aussi tenaces que les représentations. » « Ilian, 14 ans , fait partie du micro-collège. Avec quelques camarades, il défriche une zone sauvage de l’établissement pour la transformer en potager. Ils vont y travailler tout l’après-midi. “Par rapport à une troisième classique, explique Ilian, on est seulement dix à douze élèves. Les cours sont adaptés et les profs passent plus de temps avec nous. On fait aussi des ateliers de peinture, de jardinage, de la mécanique, de la menuiserie, on s’occupe des poules...” » « Parmi son groupe d’amis du primaire, Ilian est le seul à aller encore au collège : “Ils sont partis en couille. Ils se font courser par la police et certains se retrouvent parfois en garde à vue. Dans mon entourage, tous ceux qui ont arrêté l’école ont mal fini. Si j’avais l’exemple d’un pote devenu avocat ou architecte tout seul, je penserais peut-être autrement. J’ai pas envie de finir dans la rue. Sans l’école, on ne peut rien faire.” » « Jade, 14 ans (en gris, aux côtés de son amie Shana), est en troisième Segpa. Souvent stigmatisés, les élèves de cette section d’enseignement adapté finissent par intégrer les jugements extérieurs et ont très peu confiance en eux. Pendant son oral de brevet blanc, Jade a lâché : “En classe, je n’arrive pas à lever le doigt, j’ai peur d’avoir faux. Je pense que je ne vais pas réussir dans la vie.” » « Jade a choisi la filière hygiène, alimentation et services. L’atelier repassage, passage obligé de l’enseignement, ne plaît pas vraiment aux élèves. La jeune fille a tenté un pas de côté en faisant un stage dans un commissariat, via son oncle policier, puis un autre dans un supermarché. “Mon but, c’était d’ouvrir, avec ma mère et ma sœur, un grand magasin proposant des vêtements, des fleurs… mais à cause de difficultés familiales, ce ne sera pas possible. Sinon, je suis aussi intéressée par la petite enfance et le troisième âge.” » « Durant trois jours, près d’une cinquantaine d’élèves volontaires vivent dans une ferme pédagogique au cœur de la Provence. Ils y découvrent des animaux, épaulent la propriétaire dans les tâches quotidiennes, profitent de la piscine et dorment dans des yourtes. Pour ces jeunes, généralement confinés dans leur quartier, partir à une heure trente de Marseille est une expérience unique. Une fenêtre qui s’ouvre sur le monde. » « Azali, 14 ans , a une grande passion : le basket. Et il est doué. Il n’a pourtant jamais eu l’occasion d’avoir un entraîneur ni de jouer en club. “J’espère progresser à force d’essayer”, dit-il dans un sourire. Il s’exerce seul ou avec ses copains au pied du bâtiment E, dans lequel il habite avec sa mère, son grand frère de 26 ans et ses trois sœurs. Ses parents ont divorcé alors qu’il était encore bébé. Depuis, Azali n’a jamais revu son père, parti vivre à Mayotte. » « Un groupe d’élèves du micro-collège prend soin des ruches installées derrière l’établissement. J’aime cette image, car elle représente la richesse des activités proposées et les efforts déployés pour réparer leur lien à l’institution scolaire. Surtout, c’est une belle métaphore : ces dispositifs amènent les élèves à affronter leurs peurs et leur permettent de récolter à terme quelque chose de précieux. » « Alors que ses années collège arrivent à leur terme, Azali a l’impression d’avoir beaucoup mûri. Il se livre à l’occasion du bal de fin d’année des troisièmes : “La plupart de mes frères n’ont pas choisi leur travail. Je suis le dernier de la famille, et j’ai voulu montrer à ma mère que je pouvais être différent. Pour moi, réussir, ce serait avoir un bon petit salaire et mettre ma mère à l’abri, pour lui rendre la pareille. De tous ses enfants elle n’en a pas lâché un seul. Regarde la tenue que je porte ce soir : c’était ses derniers 60 euros. Elle me les a donnés quand même.” »