Médocs en stock

Photos par Gabriele Galimberti Un récit photo de Cécile Cazenave
En ligne le 15 septembre 2024
Médocs en stock
Étaler le contenu de son armoire à pharmacie sous l’œil d’un photographe n’est pas anodin. Ces boîtes parlent de notre santé et de ses défaillances, mais aussi de richesse et de pauvreté. Depuis 2016, partout dans le monde, Gabriele Galimberti s’emploie à convaincre des familles de compter, avec lui, leurs pilules.
Un récit photo en lien avec l’article Entre labos et assos de patients, des liaisons dangereuses
Étaler le contenu de son armoire à pharmacie sous l’œil d’un photographe n’est pas anodin. Ces boîtes parlent de notre santé et de ses défaillances, mais aussi de richesse et de pauvreté. Depuis 2016, partout dans le monde, Gabriele Galimberti s’emploie à convaincre des familles de compter, avec lui, leurs pilules.
Un récit photo en lien avec l’article Entre labos et assos de patients, des liaisons dangereuses
Le traitement contre le diabète de Judith Eljsbertse, 58 ans, occupe une large partie de la table de sa cuisine, à Jérusalem, en Israël. Dans le monde, selon l’OCDE, plus de 530 millions d’adultes souffrent de cette maladie chronique liée à la présence d’un excès de sucre dans le sang, et ils seront plus de 780 millions d’ici à 2045. En dix ans, l’utilisation de médicaments antidiabétiques a augmenté de 30 %. Le diabète de type 2, le plus fréquent, est lié à une modification des modes de vie, de l’alimentation et de l’activité physique. Son augmentation dans la population mondiale est étroitement associée à celle de l’obésité : en trente ans, le nombre d’adultes souffrant de cette pathologie a doublé, et le nombre d’enfants, quadruplé.
Le traitement contre le diabète de Judith Eljsbertse, 58 ans, occupe une large partie de la table de sa cuisine, à Jérusalem, en Israël. Dans le monde, selon l’OCDE, plus de 530 millions d’adultes souffrent de cette maladie chronique liée à la présence d’un excès de sucre dans le sang, et ils seront plus de 780 millions d’ici à 2045. En dix ans, l’utilisation de médicaments antidiabétiques a augmenté de 30 %. Le diabète de type 2, le plus fréquent, est lié à une modification des modes de vie, de l’alimentation et de l’activité physique. Son augmentation dans la population mondiale est étroitement associée à celle de l’obésité : en trente ans, le nombre d’adultes souffrant de cette pathologie a doublé, et le nombre d’enfants, quadruplé.
L’intégralité de la boîte à pharmacie de Jean Toussaint, un policier haïtien de 28 ans, prend peu de place. Elle se compose de paracétamol et de sirop pour la toux. « Il achète les pilules qu’il lui faut une par une dans la rue, en se référant aux couleurs », explique Gabriele Galimberti. « Mais bien souvent les pilules ne contiennent aucun principe actif susceptible de soigner l’affection dont il souffre. Ce sont des contrefaçons, ou bien elles soignent autre chose. » Depuis l’hiver 2024, le climat d’extrême violence dans la zone de Port-au-Prince, la capitale, ne permet même plus de s’approvisionner au compte-goutte. Les pillages des pharmacies comme des stocks importés entreposés dans le port ont généré des ruptures d’approvisionnement en médicaments de base.
L’intégralité de la boîte à pharmacie de Jean Toussaint, un policier haïtien de 28 ans, prend peu de place. Elle se compose de paracétamol et de sirop pour la toux. « Il achète les pilules qu’il lui faut une par une dans la rue, en se référant aux couleurs », explique Gabriele Galimberti. « Mais bien souvent les pilules ne contiennent aucun principe actif susceptible de soigner l’affection dont il souffre. Ce sont des contrefaçons, ou bien elles soignent autre chose. » Depuis l’hiver 2024, le climat d’extrême violence dans la zone de Port-au-Prince, la capitale, ne permet même plus de s’approvisionner au compte-goutte. Les pillages des pharmacies comme des stocks importés entreposés dans le port ont généré des ruptures d’approvisionnement en médicaments de base.
Ils ont renoncé à la médication conventionnelle. À Preila, en Lituanie, Arunas Andriejauskas, 53 ans, ingénieur, et Aliona Andriejauskaite, 52 ans, professeure de sciences, fabriquent leurs propres remèdes – à partir d’huiles essentielles, de champignons et végétaux de leur jardin ou de la forêt environnante. En 2023, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a organisé son premier sommet mondial sur la médecine traditionnelle, rappelant que 40 % des produits pharmaceutiques sont fabriqués à base d’un produit naturel.
Ils ont renoncé à la médication conventionnelle. À Preila, en Lituanie, Arunas Andriejauskas, 53 ans, ingénieur, et Aliona Andriejauskaite, 52 ans, professeure de sciences, fabriquent leurs propres remèdes – à partir d’huiles essentielles, de champignons et végétaux de leur jardin ou de la forêt environnante. En 2023, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a organisé son premier sommet mondial sur la médecine traditionnelle, rappelant que 40 % des produits pharmaceutiques sont fabriqués à base d’un produit naturel.
Abbas Ali Sagri est un homme chanceux. À 67 ans, il a subi un infarctus mais bénéficie d’un traitement médical qui constitue le gros du stock de médicaments de sa maison, une pièce unique dans le bidonville de Dharavi, à Bombay, en Inde. Dans le sous-continent, l’espérance de vie se situe à 70,2 ans, soit dix ans sous la moyenne des pays de l’OCDE (80,3 ans). En vingt ans, le nombre de personnes souffrant d’hypertension artérielle, à l’origine d’accidents vasculaires cérébraux, d’infarctus du myocarde et d’insuffisance cardiaque, a doublé dans le monde pour atteindre 1,3 milliard de personnes – dont les trois quarts vivent dans les pays à revenus faibles ou intermédiaires. Mais seule une personne sur cinq est traitée soignée correctement alors qu’il existe des traitements efficaces et peu coûteux.
Abbas Ali Sagri l’a échappé belle. À 67 ans, il a subi un infarctus mais bénéficie d’un traitement médical qui constitue le gros du stock de médicaments de sa maison, une pièce unique dans le bidonville de Dharavi, à Bombay, en Inde. Dans le sous-continent, l’espérance de vie se situe à 70,2 ans, soit dix ans sous la moyenne des pays de l’OCDE (80,3 ans). En vingt ans, le nombre de personnes souffrant d’hypertension artérielle, à l’origine d’accidents vasculaires cérébraux, d’infarctus du myocarde et d’insuffisance cardiaque, a doublé dans le monde pour atteindre 1,3 milliard de personnes – dont les trois quarts vivent dans les pays à revenu faible ou intermédiaire. Mais seule une personne sur cinq est soignée correctement alors qu’il existe des traitements efficaces et peu coûteux.
À Castiglion Fiorentino, en Italie, Paola Agnelli, 62 ans, and Roberto Galimberti, 68 ans, ont les mêmes problèmes de santé que la plupart des adultes occidentaux de leur âge. Roberto souffre d’insuffisance cardiaque, et Paola est en rémission de deux cancers. Dans les pays de l’OCDE, les maladies cardiovasculaires, liées au vieillissement de la population, constituent la première cause de mortalité – elles provoquent un décès sur quatre, devant le cancer, responsable d’un décès sur cinq. Dans les pays développés, les taux de traitement du cancer, par habitant, sont cinq à dix fois supérieurs à ceux des pays à faibles revenus. Et pour cause, ces traitements sont particulièrement onéreux : près de 70 % d’entre eux coûtent plus de 90 000 euros. La cancérologie constitue le plus important marché de l’industrie pharmaceutique mondiale : il représente 166 milliards d’euros.
À Castiglion Fiorentino, en Italie, Paola Agnelli, 62 ans, et Roberto Galimberti, 68 ans, ont les mêmes problèmes de santé que la plupart des adultes occidentaux de leur âge. Roberto souffre d’insuffisance cardiaque, et Paola est en rémission de deux cancers. Dans les pays de l’OCDE, les maladies cardiovasculaires, liées au vieillissement de la population, constituent la première cause de mortalité – elles provoquent un décès sur quatre, devant le cancer, responsable d’un décès sur cinq. Dans les pays développés, les taux de traitement du cancer, par habitant, sont cinq à dix fois supérieurs à ceux des pays à faible revenu. Et pour cause, ces traitements sont particulièrement onéreux : près de 70 % d’entre eux coûtent plus de 90 000 euros. La cancérologie constitue le plus important marché de l’industrie pharmaceutique mondiale : il représente 166 milliards d’euros.
La pharmacie d’Ana Cristina, 33 ans, et Leonardo de Andrade Bernardo, 24 ans, est particulièrement discrète, même étalée au milieu de la pièce unique de leur logement de la favela Vidigal à Rio de Janeiro, au Brésil. Bien que la population bénéficie d’une couverture de santé universelle, plus de 7 % des Brésiliens n’ont toujours pas accès aux médicaments de base, et seuls 9 % des dépenses pharmaceutiques sont pris en charge par l’état, selon une étude de 2023 parue dans The Lancet. Le pays subit par ailleurs une forte augmentation de l’obésité. D’ici les vingt prochaines années, la moitié des Brésiliens sera concernée par cette pathologie, et un peu plus d’un quart, par le surpoids, selon les épidémiologistes. Ce fléau de santé publique devrait entraîner un cortège de maux associés, notamment 1,2 million de morts supplémentaires dues à des maladies cardiovasculaires et à des diabètes.
La pharmacie d’Ana Cristina, 33 ans, et Leonardo de Andrade Bernardo, 24 ans, est particulièrement discrète, même étalée au milieu de la pièce unique de leur logement de la favela Vidigal à Rio de Janeiro, au Brésil. Bien que la population bénéficie d’une couverture de santé universelle, plus de 7 % des Brésiliens n’ont toujours pas accès aux médicaments de base, et seuls 9 % des dépenses pharmaceutiques sont pris en charge par l’état, selon une étude de 2023 parue dans The Lancet. Le pays subit par ailleurs une forte augmentation de l’obésité. D’ici les vingt prochaines années, la moitié des Brésiliens sera concernée par cette pathologie, et un peu plus d’un quart, par le surpoids, selon les épidémiologistes. Ce fléau de santé publique devrait entraîner un cortège de maux associés, notamment 1,2 million de morts supplémentaires dues à des maladies cardiovasculaires et à des diabètes.
Ce n’est que lorsque Gabriele Galimberti leur a demandé de vider leur armoire à pharmacie qu’Aurélie Chauffert-Yvart et son mari Alexis, 33 ans chacun, se sont rendu compte qu’ils avaient autant de médocs en stock. L’éditrice et l’entrepreneur parisiens ont retrouvé des antiviraux et des antidépresseurs, des antalgiques et des antibiotiques. La France fait partie des pays de l’OCDE les plus consommateurs de ces derniers, avec la Grèce, la Pologne et l’Espagne. 82 % des dépenses de médicaments y sont couvertes par le régime public de santé ou les régimes complémentaires, faisant du pays l’un de ceux où la prise en charge des produits pharmaceutiques est la plus importante. À titre de comparaison, en Bulgarie, seuls 24 % des dépenses en médicaments sont couvertes par l’État.
Ce n’est que lorsque Gabriele Galimberti leur a demandé de vider leur armoire à pharmacie qu’Aurélie Chauffert-Yvart et son mari Alexis, 33 ans chacun, se sont rendu compte qu’ils avaient autant de médocs en stock. L’éditrice et l’entrepreneur parisiens ont retrouvé des antiviraux et des antidépresseurs, des antalgiques et des antibiotiques. La France fait partie des pays de l’OCDE les plus consommateurs de ces derniers, avec la Grèce, la Pologne et l’Espagne. 82 % des dépenses de médicaments y sont couvertes par le régime public de santé ou les régimes complémentaires, faisant du pays l’un de ceux où la prise en charge des produits pharmaceutiques est la plus importante. À titre de comparaison, en Bulgarie, seuls 24 % des dépenses en médicaments sont couvertes par l’État.
À Zurich, en Suisse, Susan Fisher, 35 ans, ne se traite qu’à l’homéopathie. Cette professeure de yoga utilise également une décoction à base d’ayahuasca, une liane, utilisée lors de cérémonies chamaniques par les populations autochtones d’Amazonie, essentiellement purgative et connue pour ses propriétés hallucinatoires. La Suisse est le pays de l’OCDE dont les citoyens sont le plus satisfaits de l’accès aux soins qui leur est offert. Le prix de ces soins – produits et services – de santé y est pourtant le plus élevé, 62 % supérieur à la moyenne de l’OCDE. La couverture de santé y est assurée par un régime d’assurance maladie privée obligatoire.
À Zurich, en Suisse, Susan Fisher, 35 ans, ne se traite qu’à l’homéopathie. Cette professeure de yoga utilise également une décoction à base d’ayahuasca, une liane utilisée lors de cérémonies chamaniques par les populations autochtones d’Amazonie. Essentiellement purgative, elle est connue pour ses propriétés hallucinatoires. La Suisse est le pays de l’OCDE dont les citoyens sont le plus satisfaits de l’accès aux soins qui leur est offert. Le prix de ces soins – produits et services – de santé y est pourtant le plus élevé, 62 % supérieur à la moyenne de l’OCDE. La couverture de santé y est assurée par un régime d’assurance maladie privée obligatoire.