Entre terre et père

Photos par Pierre Faure Un récit photo de Camille Drouet Chades
En ligne le 26 février 2024
Entre terre et père
Majoritaires dans la société française il y a un siècle, les petits paysans sont devenus une minorité invisible. Depuis dix ans, le photographe Pierre Faure met en lumière le dénuement dans lequel nombre d’entre eux sont plongés. Il a documenté, en 2018 et 2019, le quotidien d’Éric et de ses trois enfants. « XXI » a pris des nouvelles de l’éleveur laitier.
Un récit photo en lien avec l’article Les champs de la discorde
Majoritaires dans la société française il y a un siècle, les petits paysans sont devenus une minorité invisible. Depuis dix ans, le photographe Pierre Faure met en lumière le dénuement dans lequel nombre d’entre eux sont plongés. Il a documenté, en 2018 et 2019, le quotidien d’Éric et de ses trois enfants. « XXI » a pris des nouvelles de l’éleveur laitier.
Un récit photo en lien avec l’article Les champs de la discorde
Éric, 48 ans à l’époque de la photo, pose avec Quentin, le cadet de ses trois enfants devant la ferme familiale. Le paysan à la tignasse blonde élève une trentaine de vaches dans l’Avesnois, à deux pas de la frontière belge. « Je suis né à la maternité de Maubeuge, à une demi-heure de voiture. Je n’ai jamais bougé. Il n’y a rien, ici. C’est le bout du monde », raconte-t-il. Son exploitation couvre 50 hectares : c’est moitié moins que la superficie moyenne des exploitations laitières en France, selon le dernier recensement agricole conduit en 2020.
Aucun des quatre frères et sœur d’Éric n’a souhaité reprendre la ferme familiale où ils ont grandi. De l’exploitation où le fils de paysan a tout appris il ne reste que des ruines visibles depuis sa grange. Quand il s’est installé de l’autre côté de la départementale dans les années 1990, Éric avait 24 ans. Son père venait de mourir. Sa mère, rongée par la dépression, s'est suicidée peu après. « Elle était caution de mes emprunts. Ça a tout bloqué. J’ai dû vendre mes quarante vaches et repartir de zéro. » Trente ans plus tard, il a le dos voûté et dix bêtes de moins. Depuis leur enfance, ses deux fils et sa fille l’aident au quotidien.
Aucun des quatre frères et sœur d’Éric n’a souhaité reprendre la ferme familiale où ils ont grandi. De l’exploitation où le fils de paysan a tout appris il ne reste que des ruines visibles depuis sa grange. Quand il s’est installé de l’autre côté de la départementale dans les années 1990, Éric avait 24 ans. Son père venait de mourir. Sa mère, rongée par la dépression, s'est suicidée peu après. « Elle était caution de mes emprunts. Ça a tout bloqué. J’ai dû vendre mes quarante vaches et repartir de zéro. » Trente ans plus tard, il a le dos voûté et dix bêtes de moins. Depuis leur enfance, ses deux fils et sa fille l’aident au quotidien.
Les vaches d’Éric produisent du lait qu’il vend à une filiale de Lactalis. Il fait pousser l’herbe pour le foin. « Il y a encore beaucoup de petites fermes dans l’Avesnois. » Elles représentent 35 % des 394 exploitations de la zone, selon le dernier recensement agricole. « Mais la vente directe, ça ne marche pas. Les gens ne veulent pas s’emmerder avec ça. Ce serait plus rentable pour nous, mais comment leur en vouloir ? Même moi je vais au supermarché. »
Les vaches d’Éric produisent du lait qu’il vend à une filiale de Lactalis. Il fait pousser l’herbe pour le foin. « Il y a encore beaucoup de petites fermes dans l’Avesnois. » Elles représentent 35 % des 394 exploitations de la zone, selon le dernier recensement agricole. « Mais la vente directe, ça ne marche pas. Les gens ne veulent pas s’emmerder avec ça. Ce serait plus rentable pour nous, mais comment leur en vouloir ? Même moi je vais au supermarché. »
« Je ne m’en sors pas », confie Éric en passant la main sur sa barbe de trois jours. Dans sa maison, l’odeur du poêle à bois se mêle à celle de la cigarette. Malgré les difficultés, il garde un regard de grand gamin qui tranche avec sa peau burinée. « Je suis obligé de bosser à droite à gauche sur des exploitations plus grandes. » Éric travaille notamment pour un cousin éloigné, toujours en activité malgré ses 83 ans.
Vêlage, travaux, réparation du tracteur, auxquels s’ajoutent deux traites quotidiennes : Éric n’arrête jamais. Il gagne 40 centimes par litre de lait. « Ce n’est pas beaucoup, mais on a connu pire, souffle-t-il. La brique de lait se vend un euro. »
Au printemps dernier, un incendie a eu raison de la laiterie qui se trouvait derrière ces portes. Par chance, les vaches étaient au pré. Il a fallu réparer. Et les assurances prennent leur temps pour rembourser. « Au début, j’ai utilisé une machine de traite sur laquelle je ne pouvais brancher que quatre vaches à la fois. Ça a encore rallongé mes journées. » Ses enfants ont grandi. Entre les études et le boulot – certains ont plus de 18 ans –, ils ne passent plus autant de temps à l’aider.
Au printemps dernier, un incendie a eu raison de la laiterie qui se trouvait derrière ces portes. Par chance, les vaches étaient au pré. Il a fallu réparer. Et les assurances prennent leur temps pour rembourser. « Au début, j’ai utilisé une machine de traite sur laquelle je ne pouvais brancher que quatre vaches à la fois. Ça a encore rallongé mes journées. » Ses enfants ont grandi. Entre les études et le boulot – certains ont plus de 18 ans –, ils ne passent plus autant de temps à l’aider.
Il y a huit ans, la femme d’Éric est partie. Sa fille et ses deux fils sont restés. Depuis cette photo, les mots d’amour peints par Romane au mur de la grange ont pâli. Et Quentin, le cadet que l’on voit sur l’image, a fêté ses 18 ans. Il étudie au lycée agricole du coin.
Les garçons aimeraient s’installer comme agriculteurs. « Vu la situation, je préfèrerais que mes gamins fassent autre chose », se désole l’éleveur.
Il y a huit ans, la femme d’Éric est partie. Sa fille et ses deux fils sont restés. Depuis cette photo, les mots d’amour peints par Romane au mur de la grange ont pâli. Et Quentin, le cadet que l’on voit sur l’image, a fêté ses 18 ans. Il étudie au lycée agricole du coin. Les garçons aimeraient s’installer comme agriculteurs. « Vu la situation, je préfèrerais que mes gamins fassent autre chose », se désole l’éleveur.
Comme beaucoup de petits éleveurs, Éric ne prend ni week-ends ni vacances. Alors, les enfants s’amusent autrement. La première fois qu’il a vu la mer, il avait plus de 40 ans. C’était à Ostende, sur la côte belge, à deux heures de chez lui. « Au bout de deux jours, j’en ai eu marre. La mer, c’est juste de la flotte finalement. »
En France, seuls 20 % des agriculteurs ont moins de 40 ans. « S’installer, c’est un calvaire avec la paperasse. Il faut des dossiers pour tout, explique Éric. Je ne veux pas que mes gamins reprennent la ferme familiale. J’ai encore au moins dix ans à tirer. On ne peut pas être trois ici, c’est trop petit. C’est dur de s’entendre quand les finances vont mal. Ça finirait en reproches. »
Romane, la fille d’Éric, a 20 ans désormais. À l’époque de cette photo, elle était au lycée agricole. Depuis, elle a suivi une formation de magasinière, toujours spécialisée dans l’agriculture, et passé son permis poids lourd. Elle est installée à quelques kilomètres et travaille dans le transport de pièces d’éoliennes. « Elle a tout réussi », se félicite pudiquement son père.
Romane, la fille d’Éric, a 20 ans désormais. À l’époque de cette photo, elle était au lycée agricole. Depuis, elle a suivi une formation de magasinière, toujours spécialisée dans l’agriculture, et passé son permis poids lourd. Elle est installée à quelques kilomètres et travaille dans le transport de pièces d’éoliennes. « Elle a tout réussi », se félicite pudiquement son père.
Antoine, l’aîné aujourd’hui âgé de 21 ans, termine un BTS agricole. Il enchaîne les stages à quelques kilomètres de chez lui. « Il voit autre chose que ce qu’il a appris avec moi au fil des années : des fermes modernes, robotisées, en bio… Il aurait bien arrêté après le lycée, mais avec des études, il aura un meilleur salaire. Et si un jour la terre ne lui convient plus, il aura un bagage dans le supérieur. »
Antoine, l’aîné aujourd’hui âgé de 21 ans, termine un BTS agricole. Il enchaîne les stages à quelques kilomètres de chez lui. « Il voit autre chose que ce qu’il a appris avec moi au fil des années : des fermes modernes, robotisées, en bio… Il aurait bien arrêté après le lycée, mais avec des études, il aura un meilleur salaire. Et si un jour la terre ne lui convient plus, il aura un bagage dans le supérieur. »
Une grande douceur se dégage d’Éric. Mais la situation de la petite paysannerie le met en colère. En janvier dernier, il a participé quelques heures au blocage de la frontière belge à six kilomètres de chez lui. « Je ne peux pas me permettre de laisser ma ferme plus longtemps. Pour partir plusieurs jours, il faut avoir des ouvriers ou une famille. Et les moyens. C’était important d’être là, ensemble, mais je savais que ça ne changerait rien. On a eu le baratin habituel et des mesures qui ne bénéficieront qu’aux grosses exploitations. »