Majoritaires dans la société française il y a un siècle, les petits paysans sont devenus une minorité invisible. Depuis dix ans, le photographe Pierre Faure met en lumière le dénuement dans lequel nombre d’entre eux sont plongés. Il a documenté, en 2018 et 2019, le quotidien d’Éric et de ses trois enfants. « XXI » a pris des nouvelles de l’éleveur laitier.
Majoritaires dans la société française il y a un siècle, les petits paysans sont devenus une minorité invisible. Depuis dix ans, le photographe Pierre Faure met en lumière le dénuement dans lequel nombre d’entre eux sont plongés. Il a documenté, en 2018 et 2019, le quotidien d’Éric et de ses trois enfants. « XXI » a pris des nouvelles de l’éleveur laitier.
Aucun des quatre frères et sœur d’Éric n’a souhaité reprendre la ferme familiale où ils ont grandi. De l’exploitation où le fils de paysan a tout appris il ne reste que des ruines visibles depuis sa grange. Quand il s’est installé de l’autre côté de la départementale dans les années 1990, Éric avait 24 ans. Son père venait de mourir. Sa mère, rongée par la dépression, s'est suicidée peu après. « Elle était caution de mes emprunts. Ça a tout bloqué. J’ai dû vendre mes quarante vaches et repartir de zéro. » Trente ans plus tard, il a le dos voûté et dix bêtes de moins. Depuis leur enfance, ses deux fils et sa fille l’aident au quotidien.
Les vaches d’Éric produisent du lait qu’il vend à une filiale de Lactalis. Il fait pousser l’herbe pour le foin. « Il y a encore beaucoup de petites fermes dans l’Avesnois. » Elles représentent 35 % des 394 exploitations de la zone, selon le dernier recensement agricole. « Mais la vente directe, ça ne marche pas. Les gens ne veulent pas s’emmerder avec ça. Ce serait plus rentable pour nous, mais comment leur en vouloir ? Même moi je vais au supermarché. »
Au printemps dernier, un incendie a eu raison de la laiterie qui se trouvait derrière ces portes. Par chance, les vaches étaient au pré. Il a fallu réparer. Et les assurances prennent leur temps pour rembourser. « Au début, j’ai utilisé une machine de traite sur laquelle je ne pouvais brancher que quatre vaches à la fois. Ça a encore rallongé mes journées. » Ses enfants ont grandi. Entre les études et le boulot – certains ont plus de 18 ans –, ils ne passent plus autant de temps à l’aider.
Il y a huit ans, la femme d’Éric est partie. Sa fille et ses deux fils sont restés. Depuis cette photo, les mots d’amour peints par Romane au mur de la grange ont pâli. Et Quentin, le cadet que l’on voit sur l’image, a fêté ses 18 ans. Il étudie au lycée agricole du coin.
Les garçons aimeraient s’installer comme agriculteurs. « Vu la situation, je préfèrerais que mes gamins fassent autre chose », se désole l’éleveur.
Romane, la fille d’Éric, a 20 ans désormais. À l’époque de cette photo, elle était au lycée agricole. Depuis, elle a suivi une formation de magasinière, toujours spécialisée dans l’agriculture, et passé son permis poids lourd. Elle est installée à quelques kilomètres et travaille dans le transport de pièces d’éoliennes. « Elle a tout réussi », se félicite pudiquement son père.
Antoine, l’aîné aujourd’hui âgé de 21 ans, termine un BTS agricole. Il enchaîne les stages à quelques kilomètres de chez lui. « Il voit autre chose que ce qu’il a appris avec moi au fil des années : des fermes modernes, robotisées, en bio… Il aurait bien arrêté après le lycée, mais avec des études, il aura un meilleur salaire. Et si un jour la terre ne lui convient plus, il aura un bagage dans le supérieur. »