«Zeyna a une soixantaine d’années. Elle ne veut pas qu’on la reconnaisse, mais elle a accepté que je photographie ses mains, raconte le photographe Seif Kousmate. Son histoire est tristement banale : un mari parti chercher du travail en Europe dans les années 1970 et qui n’est jamais revenu. Femme au foyer cultivant sa parcelle de terre, elle a élevé seule ses deux filles, qui se sont installées en ville. Aujourd’hui, elle survit de la solidarité du voisinage et de l’argent que lui envoient ses filles, dans une petite maison disposant de l’eau potable et de l’électricité.»
Victimes du changement climatique, les oasis du Maroc se vident de leur eau et de leurs habitants. En altérant ses photos avec des éléments naturels, comme la terre, le feu ou des feuilles de dattiers, Seif Kousmate, colauréat du Prix 6Mois 2021, rend hommage à un écosystème ancestral qui se meurt. Originaire d’Essaouira, il se rend régulièrement dans l’exploitation de son grand-père qui était agriculteur. «En réalisant ce sujet, j’ai senti que la photo classique arrivait à ses limites. D’où l’idée d’ajouter une couche supplémentaire, pour mieux raconter l’histoire. J’ai fait plusieurs essais, je voulais que l’image elle-même incarne la dégradation de l’environnement dans les oasis. Ici, je l’ai traitée avec de l’acide, qui donne cet effet bleu marbré.»
En commençant à se documenter, puis à se rendre sur place à partir de 2019, Seif Kousmate constate que deux menaces majeures sont à l’origine de la désertification des oasis. La première est le manque d’eau dû au réchauffement climatique. Indice indiscutable de ce phénomène, la baisse continue des nappes phréatiques qui alimentent ces havres de verdure. La seconde menace est directement liée à l’activité humaine.
Au cours de ses reportages dans les oasis, il collecte des feuilles de palmiers et de dattiers, de la terre… «De retour dans mon atelier, j’ai expérimenté en organisant un dialogue entre ces éléments organiques et mes tirages. J’ai voulu créer une sorte d’aller-retour entre la réalité – parfois magnifique – de ces lieux et le contexte social, beaucoup plus sombre.» Les habitants sont très pessimistes sur leur avenir. Surtout l’ancienne génération qui a vécu l’âge d’or de l’oasis, avant la dégradation des années 1990.
Par cette démarche, le photographe veut révéler une menace méconnue, qui frappe bien au-delà du désert marocain. En Algérie et en Tunisie, les oasis sont touchées par la même mise en danger de l’écosystème local. En intervenant sur l’image elle-même, Seif entend aussi réaffirmer son rôle de révélateur social. Faire du journalisme, c’est aussi reprendre la main sur l’histoire. Ne pas céder à une fatalité qui imposerait aux hommes un destin dont ils ne veulent pas. Incarner cette rébellion, lui donner vie, la rendre visible.