À Pau, une association fait découvrir la musique symphonique aux enfants des quartiers populaires. La plupart partent de zéro. Après Beethoven, ils abordent Ravel. Le photographe David Le Deodic les a suivis pendant une année scolaire, en 2015-2016.
« Depuis l’automne 2015, un orchestre pas comme les autres a élu domicile à Pau. Son nom : El Camino, “le chemin” en espagnol. Installé dans le quartier Saragosse, l’un des plus pauvres de la ville, il est entièrement gratuit. » « Les musiciens ont entre 8 et 11 ans. Ils n’ont jamais touché d’instrument, ne savent pas lire une partition mais dans moins de quatre mois, ils joueront dans la plus grande salle de concert de la ville devant des milliers de spectateurs. » « Une centaine d’enfants se sont lancés dans l’aventure. Ils sont issus de onze écoles et collèges, certains classés en zone prioritaire, d’autres privés, afin de favoriser la mixité. Chacun d’entre eux a essayé tous les instruments avant de choisir le sien. Au cœur du projet, Fayçal Karoui, un chef d’orchestre internationalement reconnu. » « Le vendredi, les élèves répètent tous ensemble dans un gymnase. Le reste du temps, l’enseignement se fait en petits groupes dans un couvent prêté par des sœurs. On apprend à jouer à l’oreille et par mimétisme. Le rythme est soutenu : six heures de cours par semaine. » « L’emploi du temps scolaire a été aménagé afin de permettre aux enfants de répéter. Ce n’est pas toujours facile, la fatigue pèse. » « En mal de concentration, un élève fait le clown. Le défi vaut aussi pour les professeurs. La plupart jouent dans l’Orchestre Pau Pays de Béarn ou enseignent au conservatoire. Ils doivent revoir leur méthode pédagogique. » « Janvier 2016, les petits musiciens montent sur scène pour la première fois. Ils vont se produire en ouverture des concerts du Nouvel An de l’ensemble de la ville. Dix mille spectateurs sur trois jours. Au programme : Frère Jacques, Ah vous dirai-je maman et L’Hymne à la joie. » « L’orchestre se déplace. Il a donné une petite dizaine de concerts à travers la ville. Il rapproche enfants et familles, ici un pique-nique organisé pour célébrer la fin de l’année scolaire. Saragosse, le quartier au centre du projet, compte 19 % de chômeurs et un tiers de locataires en HLM. » « Depuis que son père lui a offert une trompette rouge, Kaynessa ne la quitte plus. “Quand je serai grande, je veux être astronaute, Miss France ou prof de trompette !” dit-elle. » « Le jour de l’inauguration d’El Camino quelques mois plus tôt, certains adultes regardaient les musiciens l’air un peu sceptique. À la fin de l’année, ils ont tenu à créer une association de parents d’élèves. » « Élèves et professeurs se sont mutuellement apprivoisés. “Ils nous ont beaucoup appris, raconte l’un des enseignants. La patience, d’abord. L’organisation, qui doit être impeccable, sinon ils s’engouffrent dans les failles… La tolérance. Et enfin, à ne pas se fier aux apparences : ils apprennent bien plus vite qu’on aurait pu le penser”. »« Les parents sont impressionnés par leurs progrès. Les professeurs aussi. Les attitudes changent. Il y a plus d’assurance dans les gestes ainsi que dans les regards. » « Les enfants sont plus confiants, plus calmes et meilleurs à l’école. L’esprit collectif y est pour beaucoup. » « À la rentrée 2016, plus de cent nouveaux élèves ont rejoint les rangs de l’orchestre. Seule une vingtaine a arrêté entre la première et la deuxième année. El Camino compte maintenant près de deux cents enfants. Leur nouveau défi : le Boléro de Ravel. »